Certain jeune Iroquois, aveugle de naissance,
Était de plus sourd et muet.
Chacun de ses voisins lui donnait assistance,
Le gîte avec la table, enfin tout à souhait.
– Que je bénis la Providence,
Disait-il en lui-même, et quels soins obligeants !
Vivent les Iroquois ! ce sont de bonnes gens. —
Du médecin Tant-pis je ne sais quel confrère
Veut lui rendre un beau jour l'usage de ses sens.
Le miracle, en effet, s'opère ;
Bref, il entend, il voit et parle en même temps.
Quel bonheur ! direz-vous : hélas ! vaine chimère !
En croira-t-il d'abord ses yeux ?
Tous ces bons Iroquois qu'il prônait tant naguères,
Il les voit se piller comme infames corsaires.
Sur la place publique il voit des malheureux
Que Bacchus a plongés dans un délire affreux.
À la tribune, au barreau, dans les chaires,
Autres écarts : il n'entend que discours
Où la sottise abonde ; encor s'ils étaient courts !
Mon homme de quitter la place,
En s'écriant : -Quels fous, quels fripons, et quels sots ! -
A peine achevait-il ces mots,
Qu'on lui fait son procès, ou plutôt qu'on le chasse.
Ah ! disait le pauvre homme en pliant son paquet,
Messieurs les Iroquois, j'apprends à vous connaître ;
Pour vivre heureux chez vous, je vois ce qu'il faut être.
-Eh quoi ? - Sourd, aveugle, et muet.