Malice et Bonté Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Dame Malice, à ce qu'on m'a conté,
Se trouvait un jour sans asile.
Au même instant, demoiselle Bonté
Cherchait comme elle un domicile.

Malice, au fin souris, brille de mille attraits.
Ce ne sont pas ses seules armes ;
Une gaze légère, en déguisant ses traits,
Lui prête encor de nouveaux charmes.

La dame, qu'on distingue à ses malins propos
N'a besoin de se mettre en quête ;
On s'empresse autour d'elle, on rit de ses bons mots,
Et c'est à qui lui fera fête.

Prince dans son palais, coquette en son boudoir,
Poëte au quatrième étage,
Et solitaire même en son humble ermitage,
Aspirent à la recevoir.

Admirez un tour de Malice !
Elle promet à tous d'aller les voir souvent,
Et s'en va partager dans l'ombre d'un couvent
La cellule d'une novice.

Dame Malice, comme on voit,
De savoir où loger n'est plus embarrassée.
Revenons à Bonté, qui, triste et délaissée,
Pour s'héberger, cherche un endroit.

Air, démarche, maintien, tout en elle est modeste :
Sur son visage point de fard ;
Son front serein, son doux regard,
Annoncent la pudeur d'une vierge céleste.

On ose enfin l'interroger.
La candeur même alors s'exprime par sa bouche.
Je suis Bonté, dit-elle. Ah ! que mon sort vous touche ;
J'ai froid, et ne sais où loger. -

Le son de sa voix intéresse ;
On vante ses divins appas :
Mais voilà tout, et pour hôtesse
C'est à qui ne la prendra pas.

Pour se couvrir, du moins, que n'avait-elle un voile !
Mais, hélas ! elle est nue et cherche un gîte en vain.
La pauvrette est réduite enfin
À coucher à la belle étaile.

Si Malice est fêtée, on devine pourquoi.
Si Bonté n'a pas tant d'apôtres,
C'est qu'on est moins jaloux de la loger chez soi
Que de la trouver chez les autres.

Livre II, fable 10




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