Sur une branche de rosier
Deux Cirons avaient pris naissance.
Un petit corps souvent loge un esprit altier :
Ces messieurs, bouffis d'arrogance,
Ne pouvaient concevoir ni pourquoi ni comment
On ignorait leur existence ;
C'était commettre assurément
Une des plus graves offenses
Envers de telles excellences.
L'un d'eux éclate enfin ; il dit avec courroux :
-Ce léger papillon jamais ne se repose ;
Il peut fort bien, dans ses volages goûts,
Caresser mille fleurs sans prendre garde à nous ;
Sa seule inconstance en est cause :
Mais lorsque l'abeille, au matin,
Vient pomper sous nos yeux le suc de chaque rose,
À peine a-t-elle amassé son butin,
La voilà soudain qui s'envole
Sans daigner seulement nous dire une parole.
Fit- on jamais un affront plus sanglant ?
- Non, répondit son jeune frère :
Mais, pour sortir d'un tel néant,
Ami, sais-tu ce qu'il faut faire ?
Ce poste est un peu haut, il ne nous convient pas ;
Portons nos pénates plus bas.
Bon ! mais comment descendre ? —Un saut fera l'affaire.
-Es-tu fou ? c'est risquer de nous rompre le cou
Mesure la hauteur. Je ne suis pas si fou.
Au bas de ce rosier, vois-tu ce lit de mousse ?
-Eh ! vraiment, tu m'y fais songer.
En tombant là, point de danger.
-Sans doute : profitons du bon vent qui nous pousse.
Es-tu prêt ? Oui ; partons. - Et de faire aussitôt
Le saut.
Grâce à leur corps léger, la chute est assez douce.
Oh ! combien, dès l'abord, notre couple est joyeux,
Lorsqu'à travers la mousse épaisse
Il voit s'émanciper des insectes nombreux,
Et si petits dans leur espèce,
Qu'ils échappent à tous les yeux !
Les nouveaux débarqués, parmi cette peuplade,
Passent pour des géants ; ils sont comblés d'honneurs.
Vers ces hauts et puissants seigneurs
La gent imperceptible envoie une ambassade.
C'est àqui leur paiera tribut :
Ce royaume est pour eux un autre Lilliput.
--Ah ! dit cadet Ciron, quel bonheur, camarade !
Nous voilà bien tombés. -Oui, très bien cette fois.
Restons ici. Nous ne tarderons guères
Acommander, à prescrire des lois
Aces insectes éphémères.
Ce qui fut dit fut fait ; d'une commune voix,
D'insectes plus vils qu'eux ils devinrent les rois.
Combien d'esprits de bas étage,
Que, dans un autre monde, on n'eût jamais connus,
Au comble des honneurs sont pourtant parvenus,
Sans en avoir fait davantage !