Casque en tête, lance en arrêt,
Le fameux héros de Cervante
Pressait de l'éperon les flancs de Rossinante
A travers les détours d'une vaste forêt.
Témoin de ses hautes merveilles,
Sancho vient après lui, portant le bouclier.
Sancho lâche la bride à son noble coursier,
Qu'on reconnaît de loin à ses longues oreilles.
Mais quelle gloire attend l'illustre chevalier ?
Armé de sa terrible lance,
Va-t-il terrasser un géant,
Combattre un empereur ou... des moulins à vent ?
Vous allez l'apprendre ; silence.
Déjà Phébus au sein des flots
Était près d'achever sa brillante carrière,
Lorsque l'intrépide héros
Est indigné de voir que sa valeur guerrière
Ait langui tout un jour dans un honteux repos.
Quoi ! pas un ennemi qui morde la poussière !
Occupé de périls nouveaux,
Il ne voit qu'enchanteurs, et spectres, et châteaux.
Mais quel objet l'arrache à cette rêverie ?
Soudain avec transport Don Quichotte s'écrie :
-Viens, Sancho ! viens, mon fils ! accours ;
Voilà le plus beau de nos jours.
O la merveilleuse aventure !
Regarde à mon côté, là ; n'aperçois-tu pas
Un champion couvert du casque, de l'armure,
Et qui porte la lance au bras ?
Il chemine àma gauche. Observe aussi l'allure
De son cheval ; partout il suit celle du mien.
C'est un géant énorme. Ah ! je veux le pourfendre :
Avançons. -Là-dessus de rompre l'entretien.
Il descend de cheval ; l'autre aussi d'en descendre. -
-Allons, qui que tu sois, fantôme, esprit, païen,
Défends-toi : fusses-tu le diable,
Je m'en moque, et te livre un combat effroyable. ----
Il dit, et de tous les côtés
Lui porte mille coups ; autant de ripostés.
Plus Don Quichotte avance, et plus son adversaire
Recule ; mais tout aussitôt
Ce dernier revient à l'assaut,
Dès que le chevalier fait un pas en arrière.
Le choc pouvait durer jusques au lendemain ;
A leur combat la nuit met fin,
Et de l'ennemi plus de trace.
- Il a donc de mon bras éprouvé la vigueur,
S'écria Don Quichotte, et je reste vainqueur !
Çà, mon cher écuyer, défais-lui sa cuirasse ;
Cuirasse, lance, épée, et même palefroi,
Toute sa dépouille est à toi.
- Vraiment, répond Sancho, je dois vous rendre grâce ;
Champion et dépouille, au diable si j'en voi ;
La nuit pourtant n'est pas si sombre.
--- Comment ! tu ne vois rien, dis-tu ?
Oh bien ! ce seul exploit vaut mes exploits sans nombre ;
C'est contre un revenant que je me suis battu.
Non pas. Qu'était-ce donc ? -Votre ombre.