Don Quichotte et le Fantôme Etienne Catalan (1792 - 1868)

Armet au front et lance en main,
Errant dès l'aube et cherchant aventure,
Pour le repos du genre humain,
Veillait le Chevalier de la Triste Figure.
Et le soleil baissait, et pas un Mécréant,
Pas le moindre petit Géant,
De qui la satanique rage
Vînt du Héros braver le noble et saint courage !...
O Princesse du Toboso,
Incomparable Dulcinée,
Nouveau Titus, votre esclave in petto
Aurait-il perdu sa journée ?...
Non, non, voici fortune au Preux : Mon fils Sancho,
Crie enfin Don Quichotte, à magauche, un Fantôme !
Regarde, ne le vois- tu pas ?
Sur mes pas il règle ses pas :
C'est quelque Sarrasin, qui, du sombre Royaume,
Revient sans doute exprès, sous le manteau d'un Gnome,
Pour se mesurer avec moi ;
Et fût- ce un Enchanteur, ou même un Diable à quatre,
Esprit ou Corps, n'importe, il subira ma loi !
Mais à pied, mais debout, je prétends le combattre ;
Ami, prends donc ma lance, et garde mon coursier.

Puis, de sauter à bas, et le noir Chevalier
Tout aussitôt que lui de se trouver à terre.
L'un tire son épée, et l'autre, au même temps,
Tire la sienne aussi. Bref, à son adversaire,
Le Preux si bien ne peut cacher ses mouvements,
Quejusqu'aux moindres coups, quelque part qu'il les porte,
Ne lui soient renvoyés, même instant, même sorte.
Le Fantôme, pourtant, dès qu'il se sent pressé,
Recule pied à pied, mais sans prendre le large ;
Et quand le Paladin, un moment oppressé,
Lui cède quelques pas, il revient à la charge...

Mais, ô prodige ! à peine de la nuit
L'heure approchait, qu'avec le jour qui fuit,
Disparaît le Fantôme, allant où ?... Vous le dire,
Sur mon honneur, fort vous m'embarrassez...
Interrogeons Sancho, que sous cape on voit rire ;
Je l'entends qui répond : « C'est déjà bien assez
De savoir qu'ajoutant à ses exploits sans nombre,
Don Quichotte a vaincu... son Ombre ! »

Las ! combien d'Ombres ici-bas,
Combattons- nous, que nous ne vainquons pas !
Et la Gloire, et l'Amour, et tant d'autres chimères,
Ces rêves d'un moment, que de douleurs amères
Ils traînent avec eux !... Enfants, répétons-nous,
Défiez-vous d'une Coquette ;
Elle ressemble, voyez-vous,
A l'ombre que le corps projette :
Si vous courez après, la trompeuse vous fuit,
Et, si vous la fuyez, la perfide vous suit...
Nous le disons sans doute, et nous croyons des Sages ;
Mais que, pour se jouer, un de ces doux visages
Cherche à tenter nos cheveux blancs :
Adieu Raison !... Ce sont autant d'apprentissages,
Qu'il nous faut faire, hélas ! en dépit de nos ans :
Fiers Catons, vous voilà plus sous que vos enfants !

Livre II, fable 15




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