Nous préparons souvent par notre négligence
Le triomphe de nos Rivaux:
Elle rend les plus fins victimes des plus sots.
Rien ne peut à mes yeux excuser l'imprudence
D'un homme adroit que sa dupe a dupé ;
On rit toujours de voir l'attrapeur attrapé.
Le Coq d'Inde et le Coq de France
Vivaient, dans une basse-cour,
En fort mauvaise intelligence,
Et s'ergotaient vingt fois le jour.
Pour un peu d'orge, un brin de chicorée,
Une feuille de choux, ou telle autre denrée,
Ces Rivaux emplumés se livraient des combats,
Comme des Rois puissants pour de vastes Etats.
Notre Dindon, pour l'ordinaire,
Quoique le plus goulu,
Se retirait battu :
Adire vrai, ce n'était bonne guerre,
Toujours la ruse s'en mêlait ;
Lui qui par l'esprit n'excellait,
(Tout Dindon n'en a guère )
Ne pouvait tenir tête au Coq, ce fin matois,
• Plus fourbe qu'un Carthaginois.
L'habitude de la victoire
Rendit enfin le Coq méprisant, dédaigneux,
Et ce mépris le tendant peu soigneux,
À son Rival donna la gloire
D'être à son tour victorieux.
En peu de mots, voici l'histoire.
Un beau jour l'Indien, au milieu de la cour,
Sans trop penser à la trêve rompue,
Mangeait une laitue ;
Le Français, qui jamais en ruses n'était court,
S'approche, et le flattant sur sa riche capture,
À quatre pas il lui montre de l'œil
Deux ou trois branches de cerfeuil :
Ata salade, ami, joins cette fourniture ;
Crois-moi, tu n'aurais pas un si friand morceau,
Si je n'eusse un peu trop mangé de blé nouveau :
Va vite, car bientôt quelque Poule accourue....
Le symbole des sots donne dans le panneau;
Il court droit au cerfeuil, et laisse la laitue
À la merci du Coq qui, d'aise caquetant,
Au poulailler vous l'emporte à l'instant.
Il avait, en effet, dîné trop amplement ;
Il fallut pour souper réserver sa conquête;
Il la couvre de paille assez négligemment,
Et s'arrête un moment,
Pour donner à penser à l'Indienne bête
:. Qu'il a pris soin de s'en gaver :
Puis, peu content de vaincre, il vient encor braver,
Lui demandant quel goût a la salade ?
Si par hasard elle n'était point fade ?
Et lui tenant sans fin maint insultant propos,
Qui donne, en les piquant, de l'industrie aux sots,
Notre dupe, en effet, ne perdant point de vue
Son fripon d'ennemi,
S'aperçoit que son col n'est pas plus arrondi
Qu'avant qu'il eût pris la laitue :
Quais, il se peut... mais, non.... si fait ;
Le Galand l'a gardée, et j'ai lieu de le croire,
Pour son souper : tandis qu'il vante sa victoire,
Qu'il en fait gorge chaude à la Poule, au Poulet,
Furetons, dans son nid il la cacha sans doute.
Bien vous pensez que dans la route
De: la remarque il s'applaudit :
Il entre, il cherche, il voit sa friande salade;
Muet à cet aspect, le plaisir l'interdit ;
Il n'en croit passes yeux, fon bec l'en persuade ;
Il vous la croque à petit bruit :
Puis va trouver le Coq, et vous le joue,
Comme ayant de lui-même appris à bien railler,
Se paradant, faisant la roue,
Et l'envoyant au poulailler.
La basse- cour, justement étonnée,
Admire du Dindon l'adresse inopinée ;
On l'applaudit de toute part,
C'est à qui le premier lui viendra faire fête,
Et le Coq bafoué s'en va, baissant la crête,
Honteux comme un Normand trompé par un Picard.