Un philosophe à pied d'ordinaire voyage,
A son gré court les champs, sans suite et sans bagage.
Il en était un, qui, près d'un bois, vers le soir,
Entrait dans une auberge avec le doux espoir
D'y trouver un gîte passable.
« Allons, femme, vite, un bon feu,
Dit l'hôte, et va dresser la table,
Monsieur a faim. — il me faut peu.
— Va mettre le coq à la broche.
— Le coq ? répond le voyageur ;
Non, je me ferais un reproche
De le priver du jour, pour un peu de douceur.
Voici deux écris pour la bête,
Elle est à moi ; rien que du pain,
Du fromage, du lait, ma faim est satisfaite ;
D'ailleurs, vous avez votre gain.
Je dépense peu pour la bouche. »
Là-dessus, il soupe et se couche.
Le coq, qui n'est pas sot, sur la tringle perché,
Avait très-bien compris que pour le philosophe
Il était près d'être embroché.
Dans cette affreuse catastrophe,
Une sueur froide a glacé son front,
Il s'est senti la chair de poule ;
Mais, voyant payer sa rançon,
Ses sentiments viennent, en foule,
De gratitude emplir son cœur.
Tout à coup, quelle est sa douleur !
Il entend l'hôte avec sa femme
Concerter le projet infâme
D'assassiner le voyageur.
Le coq pâlit, tremble et frissonne,
Prend son parti, ne" s'endort pas,
Et, quand l'heure fatale sonne,
Il se glisse à grands pas
Vers la couche de la victime,
Tire son sauveur par le nez,
Et lui révèle ainsi le crime.
Le sage ouvre, en bâillant, de grands yeux étonnés
Et, pénétrant l'avis du coq, il voit l'abîme
D'où le héros vient le tirer.
Les assassins, alors, venant d'entrer,
Et le trouvant debout, prennent tous deux la fuite.
Le philosophe, ainsi, pour la peur en est quitte.
Il dit: « Un peu d'humanité,
Toujours, sur nous du ciel attire la bonté. »