D'un singe malfaisant, et qui par la fenêtre
Jetait le trésor de son maître,
La Fontaine nous a parlé.
Or, voici la fin de l'histoire.
Le pauvre homme pleurait son trésor envolé,
Et le singe avait peur, comme vous pouvez croire.
L'animal alors s'avisa
D'essayer de la ruse et de payer d'audace.
Il regarda son maître en face,
Puis prenant de grands airs, il le moralisa :
- Peut-on d'un vil métal pleurer ainsi la perte,
Et s'appeler homme ! quand moi,
Pauvre singe, j'ai pu le jeter sans émoi
Par la fenêtre encore ouverte.
Un monceau d'or vaut-il un instant de gaieté !
Peut-il racheter une larme !
Il vous ensorcelait, et j'ai rompu le charme.
O mon maître ! la pauvreté,
Croyez-moi, c'est la liberté.
- Sois donc libre, lui dit son maître
En l'attachant à la fenêtre.
Depuis lors il ne lui donna
Rien à manger et rien à boire.
A ce prix, il lui pardonna,
Et le singe, poursuit l'histoire,
Fort amèrement se plaignit
Au maître, qui d'abord ne sembla pas l'entendre,
Puis finalement qui lui dit :
- Moi, j'achète mon pain, je consens à t'en vendre,
As-tu de l'argent ? – Hélas ! non,
Dit le singe. – Oh ! reprit le maître,
Je sais, pour toi l'argent n'est bon
Qu'à jeter par cette fenêtre.
Si pourtant tu veux en gagner,
A travailler, mon cher, il faut te résigner.
- Mais, dit le sapajou, moi, je ne sais rien faire.
- Eh bien ! sois patient, n'étant pas ouvrier :
Quelques bons coups de fouet supportés sans crier
Te formeront le caractère,
Et je veux te payer un denier chaque coup.
- C'est trop peu, dit le singe. – Oh ! c'est encor beaucoup.
Je dois un châtiment à ta belle conduite ;
Te traitant suivant ton mérite,
Je t'indemnise encor, je suis clément et bon.
Le singe refusa, dit-on,
Un jour, deux jours, mais le troisième
La faim le réduisit à demander lui-même
Deux coups de fouet pour un denier.
Le maître se faisait prier ;
Et lorsque l'animal étrillé d'importance
Eut assez de deniers pour payer sa pitance :
- Crois-moi, lui dit le maître, abjure un sot amour
Pour ce métal cher aux esclaves ;
Sache dompter la faim, méprise tes entraves ;
Daigne m'enseigner à ton tour
L'usage de ces biens dont j'ai pleuré la perte :
La fenêtre est encore ouverte.
- De grâce, vendez-moi du pain,
Dit l'animal guéri de sa philosophie,
Et que votre clémence encor me gratifie
De quelques coups de fouet pour me nourrir demain.
Le dédain pour l'argent est fort noble sans doute,
Lorsqu'on le sacrifie à quelque saint devoir ;
Mais pour en bien user, il faut d'abord savoir
Et ce qu'il vaut, et ce qu'il coûte.
Symbole 18 :
Il ne faut pas confondre le désintéressement avec le mépris de l’argent. Le premier est une qualité des grandes âmes, le second est une sottise ou un mensonge.
C’est le prix même de l’argent qui fait la gloire de celui qui donne, car ne pas accepter ce qui nous est dû c’est le donner.
Donner c’est agir en riche, c’est agir en roi, c’est agir en Dieu.
Mais négliger l’argent ou le gaspiller, c’est agir en brute.
L’argent en effet est le signe représentatif de la vie humaine et de toutes ses puissances.
L’argent c’est le travail, c’est la liberté, c’est la civilisation, c’est la justice, c’est le progrès.
Il faut de l’argent pour que la charité accomplisse ses œuvres, pour que Dieu ait un culte, pour que la science vive et se répande.
Celui qui dissipe follement l’argent mérite d’avoir faim et de savoir un jour ce que coûte un morceau de pain.