Un Singe à la cour du Lion
Jouait un brillant personnage.
Favori de son maître en toute occasion,
Chacun voulait lui plaire et lui rendait hommage.
Son état de prospérité Lui donnait des amis sans nombre :
Chez tels amis point de réalité,
De l'amitié ce n'est qu'une ombre
Qui disparaît comme un éclair.
Le Singe au bout d'un tems fut déchu de sa place,
De tous ses amis du bel air
Pas un ne fut senfible à sa disgrâce.
Bien plus un an, ou deux après,
Bertrand, las de casser des croutes,
Chez un Loup son voisin voulut avoir accès.
Hélas ! ce disait-il, quoi ! maintenant tu broutes,
Pauvre Singe ? autrefois des plus excellents mets
Ta table toit servie en abondance ;
Mais il te reste un rayon d'espérance.
Va donc trouver ceux qui jadis
Te marquaient tant de bienveillance.
Il se met en chemin, il arrive au logis
De maître Loup qui faisait chère entière,
Non seul comme un goulu ; mais en société,
Le Singe alors entre en matière,
Et n'est presque pas écouté,
Il continue, et l'on tourne la tête.
On ne le connaît point. Il décline son nom,
Ses qualités. Ah ! c'est vous ! lui dit-on.
Qui ; c'est moi, reprit-il, à qui vous faisiez fête
Lorsque j'étais bien mieux que je ne fuis.
Dans la prospérité nous nous sommes accueillis ;
Elle nous donne un lustre, elle nous fait paraître ;
Mais le malheur est un vernis
Qui défigure au point que nos meilleurs amis
Ont peine à nous reconnaître.