Le Lit de justice et le Singe Remacle Maréchal (1796 - 1871)

En ce tems-là; un singe de la grande espèce, qui servoit d'amusement à un monarque, se glissa, avant le lever de son maître, dans le garde-meuble de la couronne, s'y revêtit du manteau de pourpre, s'empara de la main de justice et du sceptre ; et, ainsi accoûtré, se promena gravement dans le palais, pénétra jusqu'à la salle du conseil, et prit sa place sur le trône où il avait vu une fois siéger le prince. Du plus loin qu'on aperçut Sa Majesté, on sonne l'alarme. Grande rumeur ! Nouvelle importante ! Le roi tenir le lit de justice si matin, sans aucuns préparatifs, sans ordres préliminaires ! Il fait à peine jour. On ne sait que penser. Le roi est au conseil, se dit-on l'un à l'autre. On mande aussitôt les ministres, les officiers, les magistrats. On s'assemble enfin en tumulte ; le chancelier prend sa place aux pieds du monarque, et déjà fléchit le genou en terre devant lui, pour recevoir ses volontés. En réponse, le singe couronné, d'un coup de patte enlève la chevelure postiche du chef de la magistrature, et s'en couvre la nuque. Cependant le roi véritable, qui ne dormoit jamais d'un profond sommeil, se lève en sursaut ; et, à peine vêtu, court vers l'endroit où il entendoit du bruit. Quel spectacle pour lui et pour toute sa cour ; le singe, à la vue de son maître, de s'enfuir, la queue entre les jambes. Mais le souverain, dans un état dissicile à peindre, de le faire poursuivre, avec ordre de le fouetter jusqu'au sang. Pourquoi le châtier ? dit quelqu'un qui disparut aussitôt, il remplissoit dignement votre place, Sire. Et un pareil vice-gérant vous épargneroit bien des corvées, et peut-être bien des sottises.

Le manteau royal est un vêtement qui rarement va bien à la taille de ceux qui le portent, parce qu'on n'a pas eu le soin de prendre leur mesure, auparavant de le mettre sur leurs épaules. Comme on coupe en plein drap, on lui donne souvent tant d'ampleur, et il est si lourd, que ceux qui s'en habillent peuvent à peine marcher, s'y empêtrent les pieds, succombent sous le poids, et font les chûtes les plus graves ou les plus ridicules. Parfois aussi on lui fait contracter de mauvais plis dissiciles à redresser. Ceux qui se couvrent de ce manteau en voient rarement la fin. Il passe sur bien des épaules, avant d'être usé! Avec ce manteau, on peut bien se passer de toutes les autres pièces d'une garde-robe. Car il dispense de la pudeur. Il est parfumé d'une essence qui porte au cerveau de tous ceux qui s'en approchent, et leur cause le délire.





Commentaires