Sous le règne fatal d'un Lion débonnaire,
Une bande de loups, de tigres furieux,
Et d'autres animaux de race sanguinaire,
Par le besoin de nuire, associés entr'eux,
Avait juré de ravager la terre :
La terre allait périr sous leurs affreux complots :
Tel fut le nombre de leurs crimes,
Que par le sang de leurs victimes,
Les fleuves les plus grands virent rougir leurs flots.
Hélas, plusieurs fois la justice
Avait tenté de punir leurs forfaits ;
Mais c'était toujours sans succès,
Tant ils avaient de fourbe et d'artifice.
Ils étaient acquittés, soit sur l'intention,
Soit qu'on ne pût prouver préméditation,
Soit enfin que le juge eût été leur complice ;
Bref, ils savaient toujours échapper au supplice,
Le sceptre tombe enfin dans les mains d'un Lion
Dont la justice était la passion,
Et qui, depuis longtemps, avec impatience,
Voyait l'impunité de cette vile engeance.
Son premier acte est un édit,
Où, très-expressément, il est enjoint et dit
Que les coupables soient traduits en sa présence.
Pour cette fois, enfin, ils vont être jugés.
Ils comparaissent donc, ils sont interrogés :
Les faits étaient évidens et notoires ;
Les plaintes, les témoins, d'authentiques histoires
Les constataient trop bien : on ne les nia point ;
Mais les justifier, c'était là le vrai point.
«< Quels furent vos motifs ? dit le Lion lui-même.
- «< Sire, répond un vieux Renard,
» A votre majesté nous l'avouerons sans fard,
>> Nous ne voulions d'abord que voler, piller même ;
» Mais égorger vos fidèles sujets
» N'entra jamais dans nos projets.
Vous le fîtes pourtant.
-Leur faute ! -
-- Ce fut leur faute, sire. '
Oui, nous osons le dire,
Sire ; pourquoi nous ont-ils résisté?
» Leur résistance fit le crime ;
» Le crime appartient donc à la seule victime
» À la seule victime il doit être imputé.....
- » Taisez-vous, insolent, dit le prince en colère.
« Silence ! « crie alors, d'une voix de fausset,
Un jeune ours qui, ce jour, débutait au parquet.
Le monarque, soudain, rend cet arrêt sévère :
« Voulant punir enfin les attentats
Que l'on vit trop long- temps désoler nos États,
Et les purger surtout d'une coupable engeance,
Qui de nos lois mérite la vengeance,
Voulons que les présens, liés et garottés,
Dans des déserts inhabités,
Incontinent, soient déportés :
Ils seront, à ce qu'ils nous semble,
Assez punis de vivre ensemble,
Et d'accomplir entre eux leurs sinistres projets.
Ordonnons au surplus qu'on arrache la langue
A l'avocat dont la harangue
A, devant nous, outragé nos sujets
Par une atroce impertinence :
Ainsi fait et signé dans notre résidence.
L'arrêt fut, dans le jour, en tout exécuté.
Depuis ce jour tant souhaité,
Les animaux, avec sécurité,
Célébrant du Lion l'équité, la prudence,
Coulent des jours heureux au sein de l'abondance.