Le Lion, le Bœuf et les Rats Louis de Valmalète (19 siècle)

S'IL est des lions débonnaires,
Il en est de cruels, même de sanguinaires.
Un de ceux-ci, fameux parmi les potentats,
Exerçait un tel despotisme,
Que messieurs du libéralisme,
(Car il en est en tous États)
En étaient comprimés, mais ne murmuraient pas.
Il était sans pitié, comme sans indulgence ;
punissait de mort jusqu'à la négligence ;
Et le moindre petit méfait
Était traité comme un forfait.
Un Bœuf, prudent par sa nature,
Sous la grifse craignant de tomber à son tour,
Ayant bien ruminé sur cette conjoncture :
» Fuyons, dit-il, ce funeste séjour ;
» Sauvons-nous dans l'ile voisine.
Là, vivant en commun, sans ministre ni roi,
» Le peuple rat, seul, fait la loi,
»Des Rats l'espèce est bien un peu mutine ;
» Mais que pourront-ils contre moi ?
Le Bœuf, suivi d'une compagne,
Ainsi que de deux petits veaux 2
Se mettant soudain en campagne,
Chemine par monts et par vaux.
L'ile des Rats est aperçue ;
« Par de longs beuglements, notre Bœuf la salue :
" Salut, heureux séjour, où je vais désormais
» Couler mes jours au sein d'une profonde paix ! »
Disant ces mots, il aborde dans l'île ;
Car, tous nageant fort bien, ce fut chose facile.
Mais quel est son étonnement,
Lorsqu'en cette île, objet de son hommage,
De la destruction tout lui montre l'image !
Ce fut bien pis, quand, lentement
S'acheminant vers la prochaine ville,
Il voit les Rats, en proie à mille maux affreux,
Se déchirer et s'égorger entre eux ;
Pour tout dire, c'était une guerre civile.
Il veut de la raison faire entendre la voix ;
Il aurait mieux fait de se taire ;
Car, soudain, contre lui s'ameutant à la fois,
Tout notre peuple sourriquois
Ne songe plus qu'à s'en défaire.
Les plus hardis, sans doute, y trouvèrent la mort ;
Mais à quoi lui servit la force et le courage ?
Un million de Rats, excités par la rage,
De tous côtés le cerne et l'attaque et le mord.
Le Bœuf, les veaux et leur mère chérie,
Ils y perdirent tous la vie.

Rien de pis que des Rats mis en rébellion.
Mieux vaut peut- être encor la grifse du Lion,