L'Enfant et les deux Chardonnerets Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Chez certain amateur d'oiseaux de toute espèce,
Un fort joli chardonneret,
Bien sémillant, bien freluquet,
Plaisait par ses talents et par sa gentillesse.
Les amis, les voisins, tout le monde y venait,
Perché sur son bâton d'ébène,
Il tirait avec art une brillante chaîne
Et le seau qu'elle soutenait.
Autre industrie encor, car sans un peu de peine,
Il ne pouvait parvenir à la graine
Que renfermait l'auget. Bref, du petit oiseau
On exerçait la patience :
Mais son logis était si beau !
Eh ! Que dis-je un logis ? C'était un vrai château,
Où brillait la magnificence :
Tourelles d'or, salon et glaces tout autour ;
Puis on venait le voir, l'admirer chaque jour :
Des soins qu'il se donnait c'était la récompense.
On s'en donne pour moins. Courtisans d'Apollon,
Qui sur les pas des immortelles,
Ne buvez que de l'eau dans le sacré vallon,
Vous m'en diriez bien des nouvelles.
Mais venons à mon fait. Certain petit garçon
Qui depuis quelque tems fréquentait son collège,
Demeuré seul un jour près du brillant donjon,
De ce chardonneret admirait le manège ;
>> Cet oiseau seul, dit-il, jouit du privilège -
D'attirer près de lui les gens de la maison ;
Fêté des curieux, ayant tout à foison,
Tenant état de prince et faisant grande chère,
Il ne se plaindra pas, j'espère,
Car son lot me semble assez bon. »
Il se tut un moment, puis se mit à sourire :
» Si, comme au tems de l'âge d'or,
Les animaux, dit-il, parlaient encor !..
(Notre bambin venait de lire.
Son La Fontaine apparemment).
Oh ! s'ils parlaient ! d'un pareil avantage
Ce confrère, oublié dans sa modeste cage,
Saurait se plaindre amèrement... »
- » Vous vous trompez, je suis plus sage,
Dit le chardonneret à l'écolier surpris
Dans les mêmes réseaux l'oiseleur nous a pris ;
Mais, plus jeune que moi, mon frère
A payé cher son éducation.
Dans mon coin je vis solitaire
Et j'ai tout à discrétion.
Je conviens qu'il habite un palais magnifique,
Qu'il vit au comble des grandeurs ;
Mais, entouré de ces honneurs,
Il pourrait bien mourir étique.
Mon jeune ami, n'en riez point.
Le boire et le manger lui coûtent tant de peine !
Et je m'aperçois trop qu'il perd son embonpoint,
Avez-vous remarqué cette seconde chaîne ?..
On dit qu'elle est d'un précieux métal ;
Mais souvent elle lui fait mal,
Lui pèse à chaque instant, le contraint et le gêne,
Ne permet pas le moindre essor.
Il la becquète avec colère ;
Et le malheureux a beau faire,
Qu'y gagne-t-il ?... Pour être d'or
Elle n'en est pas plus légère. »

Livre II, fable 25




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