Le Corbeau et les Fourmis Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

N'insulte point, ne méprise personne,
Mais plutôt fais le bien ; tu le peux, tu le dois :
Si l'on te veut du mal, tends la main et pardonne ;
L'indulgence, voilà le plus beau de nos droits.
D'un obscur ennemi crains aussi la vengeance,
Il pourrait quelquefois te punir à son tour.
Maître corbeau sut assez bien, je pense
A ce sujet l'éprouver certain jour :
Un beau matin, il errait en silence
Au pied d'un arbre où des fourmis
Avaient caché leur république.
Marcher sur le prochain ne fut jamais permis ;
Une d'elles le sent, grimpe, cherche, le pique,
Et là-dessus s'esquive de son mieux.
L'autre à son tour, atteint de la dent meurtrière
Jure de se venger, examine les lieux,
Découvre enfin la fourmilière,
La détruit, et mainte ouvrière
Périt, dans ce désordre affreux !
L'oiseau parti, l'on se consulte,
L'on délibère et l'on décide enfin
Qu'il faut punir une pareille insulte
Et se venger de ce coup assassin ;
A quelque tems de là, le corbeau s'en vint faire
Son nid au haut de l'arbre. On laissa le compère
Pondre et couver tout à loisir.
Le jour venu de goûter le plaisir,
Plaisir des dieux, celui de la vengeance ;
On saisit un heureux moment,
On court, on grimpe lestement,
Et, profitant de son absence,
On va trouver ses tendres nourrissons,
Pour les punir hélas ! de la faute du père !
Dieu sait comme il alla, grâce à leurs aiguillons.
Puis de s'enfuir ; la fourmilière
Sut regagner sans bruit son ténébreux séjour.
Et bientôt Colas de retour
Retrouve ses enfants tout couverts de piqûres.
Il eut beau croasser et jeter les hauts cris,
Dès le même jour ses petits
Etaient tous morts de leurs blessures.

Livre II, fable 24




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