A certain arbre, une araignée
Ayant dès le matin suspendu ses réseaux,
A vivre d'air se voyait condamnée :
Ni moucherons, ni vermisseaux
Ne vinrent y donner de toute la journée.
Vis-à-vis d'elle cependant
Une chenille enfin commençait à descendre,
Et filait assez lentement.
Pour l'araignée elle était bonne à prendre ;
Faute de mieux, c'était toujours butin.
Mais comment l'attirer ?.. Si quelque doux zéphyre
Avait voulu seconder son dessein !
Le moindre souffle eût pu suffire.
Mais l'air était tranquille. » Ah ! lui dit-elle enfin,
Ma chère enfant, permettez que j'admire
Un travail aussi précieux !
Que ce fil est parfait ! Vous seriez adorable
Si, de plus près encor l'exposant à mes yeux,
Vous daigniez, en passant, de votre art admirable,
Me donner une ou deux leçons ;
Je filerais tous les cocons
Dont yous auriez besoin, vous ou votre famille... »
Tandis que celle-ci parlait,
Très- prudemment l'autre filait,
Mourant de peur : dame chenille
Au lieu de mordre à l'hameçon
Que lui tendait la flatterie,
S'esquiva de son mieux. N'eût-elle pas raison ?
Aux gluaux emmiellés de la flagornerie
Combien de gens se prennent chaque jour !
Tous les humains y viennent à leur tour,
Et même sans se faire attendre,
Quand on veut se donner la peine de les prendre.
Malgré tant d'utiles leçons
Qu'offre l'histoire, et dont elle fourmille,
J'en ai vu d'englués de toutes les façons.
L'oncle comptant ses ducatons,
Le neveu libertin ruinant sa famille,
Des magistrats titrés, des crésus ignorants...
Mais nul d'eux n'était ma chenille.