Le Lion et les Corbeaux Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Gens hardis ont souvent peu de délicatesse.
Des corbeaux, vers un bois, allaient avec adresse,
Détourner certain mouton gras.
Ce leur était excellente pâture ;
La bonne et douce créature
Devait servir à maint repas.
Or, il advint que dans la conjoncture,
Sire lion apparut tout à point.
» Par Jupiter ! l'aubaine est assez bonne,
Dit, à part soi, sa majesté lionne,
Et me plaît d'autant mieux que je n'y pensais point. »
Mais ce survenant ne plut guère
A messieurs les corbeaux, qui ne savaient que faire
Pour conserver le mouton gras.
L'autre bientôt les tira d'embarras :
» Messieurs, je suis à jeun, leur dit-il, et j'espère
Que de mon déjeuner vous ferez bien les frais.
Il ne faut pas de grands apprêts,
Ce mouton là va me suffire ; »
Et le lion l'emporte bien et beau.
D'abord on crut qu'il voulait rire ;
S'il n'avait demandé que sa part du gâteau,
On n'eût rien dit ; c'était son droit de sire ;
Mais s'emparer du tout, contre le droit des gens !
La dose parut un peu forte,
Et sur-le-champ notre cohorte
Se met à sa poursuite. On chamailla long-tems,
Quoiqu'en vain ; monseigneur ne voulait rien entendre
Tant qu'enfin le nombre croissant,
Et les plus hardis l'agaçant,
Force lui fut de se défendre ;
Il pose son fardeau. L'escadron à l'instant
Se range en ordre de bataille,
Fond sur lui, se relève, et recharge d'autant,
Tandis que le lion écume, se travaille,
Souffle le feu de ses naseaux.
À la vérité maints corbeaux
Tombent sous la grifse du sire ; '
Mais à la fin la fatigue l'abat ;
Ils redoublent d'efforts ; il chancelle, il expire.
Chaque ennemi vous le déchire,
S'en régale après le combat,
Et ses restes bientôt sont épars sur le sable.

Que conclure de cette fable ?
Que le nombre souvent supplée à la valeur,
Et que partout le faible est soumis au vainqueur.

Livre II, fable 22




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