Le Paysan et le Philosophe Don Juan Laurencin (1733 - 1812)

Éloigné des cités, vivait un laboureur ;
Heureux puisqu'il savait connaître son bonheur.
C'était un véritable sage,
II était devenu l'oracle du village,
De façon qu'on n'y faisait rien
Sans consulter le bon homme Colin.
On racontait de lui mille et mille merveilles
Au-dehors comme en son canton y
On le prônait tant que son nom
Parvint enfin jusqu'aux oreilles
D'un Philosophe à qui ses veilles
Avoient acquis un grand renom.
(C'était de ceux qui, dans l'école,
Ont puisé leur vaste savoir.)
Un villageois savant !.... cela me paraît drôle,
Se disait-il : allons le voir.
Aussitôt dit que fait ; il trouve le bon homme
Dans un. taudis couvert de chaume.
— Dis moi, vieillard, par quels travaux
As-tu donc mérité ta vaste renommée ?
Ta sagesse profonde est partout proclamée :
Connoítrais-tu tous les arts libéraux ?
Des savants de Rome et de Grèce
Aurois-tu feuilleté les chefs-d'œuvre divers ?
Ou bien, pour trouver la sagesse ?
Aurais-tu traversé les mers ?
Non, reprit le vieillard : le sage sans grimace
Qui dans ce monde occupe peu de place,
En change encore moins. Tous les lieux sont égaux :.
L'erreur et l'imposture
Ont partout déployé leurs séduisants drapeaux :
Les voyages ni la lecture
N'ont jamais troublé mon pays ;
3e dois ce que je sais à la simple nature.
De mille opinions, sans être combattu,
Je déteste le vice et j'aime la vertu.
Ceci suffit pour me conduire ;
Et s'il me fallait des leçons,
Je n'aurais nul besoin de lire
Vos parchemins, en les supposant bons.
Dans divers animaux, j'ai de meilleurs modèles.
La poule, en étendant ses ailes,
Pour mettre à couvert ses petits,
M'enseigne les devoirs d'un père ;
Pour ne jamais manquer du nécessaire,
J'ai les prévoyantes fourmis ;
- La colombe, la tourterelle
Mes guides sont pour l'amour conjugal ;
Mon chien, des chiens le plus fidèle,
Par cent autres vertus est aussi sans égal.
Si la colère en moi s'éveille,
Je rappelle à l'esprit la douceur du mouton j
Etre oisif, comment le peut-on,
En contemplant la diligente abeille ?

Ce sont là ceux qu'en bien je tâche d'imiter ;
Pour ce que je dois éviter,
J'ai des maîtres aussi. Les hiboux et les pies,
Les loups, terreur des bergeries,
Les serpents, les vautours, les milans, les faucons,
Me donnent tour-à-tour d'importantes leçons
Qui valent bien, je crois, tout un cours de morale

Sage vieillard, non, rien n'égale
Ton grand savoir, s'écria le docteur !
Jusqu'à présent j'ai vécu dans Ferreur :
Oui, je le reconnais, la nature est le livre
Que l'on doit consulter pour apprendre à bien vivre.

Fable 29


Note de l'auteur : Cette fable et l'antérieure sont de GAY.

Commentaires