Un bouffon, jadis sur la scène,
Avec tant d'art contrefaisait
Le cri d'un cochon de lait,
Qu'à Rome comme un phénomène
Tout le monde le regardait.
La salle tous les jours d'amateurs était pleine :
D'un si rare talent chacun était surpris ;
On en parlait partout, on ne pouvait s'en taire,
Et Rome sur ce point ressemblait à Paris.
Un jour un paysan s'adressant au parterre,
Dit : Cet homme ne fait rien de bien surprenant,
Et demain, devant vous, je veux en faire autant.
Du public curieux ne trompant point l'attente,
Comme il l'avait promis le drôle se présente.
On s'égaya d'abord, en voyant ce lourdaud
Le corps enveloppé d'un très-ample manteau.
Mais sous son balandras, notre malin compère
Cachait adroitement l'instrument nécessaire.
Le public, dira-t-on, aurait dû cependant
Se douter du motif d'un tel accoutrement.
Il ne s'en douta point ; comme à son ordinaire,
Il fut tout bonnement la dupe de l'affaire ;
Sans se formaliser il prête attention.
Du cochon qu'il cachait rustaud tire l'oreille ;
Aussitôt l'animal entame sa chanson,
Criant comme un perdu, s'en acquitte à merveille.
Mais au lieu d'applaudir, on siffle notre acteur.
Le boufson sait lui seul imiter la nature ;
Ce rustre n'est, dit-on, qu'une caricature ;
Il faut jeter dehors cet impudent farceur.
Comme chacun parlait à ne pouvair s'entendre,
D'un pareil jugement rustaud, pour se défendre,
De dessous le manteau retire le cochon,
Lui fait à découvert répéter sa chanson.
Nos juges, tout confus, et ne sachant que dire,
Se trouvèrent forcés à leurs dépens de rire.
Hélas ! le temps passé ressemble au temps présent,
Et la prévention toujours a trompé l'homme ;
Aujourd'hui dans Paris, comme autrefois dans Rome,
On juge sous nos yeux aussi bizarrement.