Le Paysan et le Singe Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Sous un soleil ardent, un pauvre villageois
S'acheminait vers la cité voisine.
Il y portait un sac de noix ;
De plus, un ballot dont le poids
Du Paysan faisait plier l'échine.
Pour prendre enfin quelque repos,
Il met à terre son bagage.
Un hêtre planté là se présente à propos :
Il veut profiter de l'ombrage ;
Et sur un lit de mousse étendu de son long,
Il s'endort d'un sommeil profond.
Le pauvre homme ignorait qu'au-dessus de sa tête
Logeait une maligne bête
De la famille des Bertrands,
Singe en un mot, et singe encor des plus friands.
Du haut de son observatoire
Aussitôt descend le matois,
Qui, pour ouvrir le sac, comme on peut bien le croire,
Vous fait œuvre de ses dix doigts.
- Ce sont des noix, dit-il ; oh ! l'excellente aubaine !
Il y plonge une main et l'en retire pleine ;
Autant de l'autre. - Bon ! mais c'est encor trop peu.
Ne lâchons pas prise, morbleu !
Sans en avoir grugé pour toute ma semaine.--
En achevant ces mots, il veut goûter au fruit.
-Non, reprend-il : de peur d'éveiller ce brave homme,
Évitons de faire aucun bruit ;
Ce serait conscience, il dort d'un si bon somme !
Le sac n'est pas si lourd ; prenons-le tout entier
Pour le porter à mon grenier.
Et, prompt comme l'éclair, vous eussiez vu le drôle
Entre ses dents saisir un bout du sac,
Chargeant l'autre sur son épaule ;
Puis le voilà grimpant. Tout près d'arriver, crac !
Sous le poids de son corps une branche pourrie
Éclate, et rompt. Le Singe, en culbutant,
Se raccroche avec peine, a la face meurtrie,
Tandis que le sac tombe et se vide à l'instant.
Les noix de pleuvoir par douzaine
Sur le nez même du patron,
Qui s'éveille en sursaut, étonné, fort en peine.
Il découvre enfin son larron :
Mais, à si bon marché content d'en être quitte,
Il rit de l'aventure en ramassant ses noix,
Et nargue la bête maudite,
Qui l'observe d'en haut, peste, et se mord les doigts.

Vous que l'appât du gain sans cesse sollicite,
Ma fable vous fait assez voir
Qu'on s'expose à tout perdre en voulant trop avoir.

Livre III, fable 10




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