Pour demander conseil
Sur le bien et le mal, le bon et cas pareil,
Je vais trouver obscure créature,
Sans esprit, si l'on veut, mais que dame nature
Dote, insigne faveur !
De jugement et d'un bon cœur.
Que de raison sous la plus vile étoffe !
Vous préférez le sombre philosophe,
Au front plissé, regard sec, air abstrait ?
Un tel rêveur n'est point mon fait ;
J'y trouverais mécompte.
Contentez-vous pourtant; mais écoutez deux mots;
C'est une histoire et pas un conte.
Un philosophe, ayant quatre marmots,
De plus, femme gentille,
Une sœur et sa fille,
N'avait repos ni le jour, ni la nuit ;
Souvent querelle et tout ce qui s'ensuit,
Poussaient la patience
De la sapience
A bout.
Pour échapper à ses furies,
Dès le matin, notre homme était debout,
Parcourait les prairies :
Mais il aimait surtout
A visiter un pacage
Qu'abritait dit l'ormeau le gracieux feuillage.
Là, joyeux et contents,
Vivaient cinq paysans;
Maître Jean et sa femme,
Trois filles, belles comme amour:
Je les connais et les proclame
Reines des bergers d'alentour.
Reine de capitale,
De tout temps,
N'égale
Reine des champs.
Chacun son goût. Tableau de l'innocence
Qu'encadrent la simplicité,
Doux abandon, sincérité,
Nuance
Dans le ton de la vérité,
De couleurs naïves la vie...
Moi, si j'avais à choisir une amie,
Je ne la demandrais jamais à la cité.
« Ainsi parler n'est plus de mode :
Qu'est-il besoin d'un si long épisode ?
Revenez à votre récit. ,
— Un instant, je n'ai pas tout dit.
Vous, coeurs amis de l'innocence,
Entrez dans ma confidence :
Est-il vrai que plaisirs bruyans,
Fêtes et bals, foyers de la licence,
Fascinent l'inexpérience,
Par leurs prismes flamboyons ?
Et l'on dira que le jeune âge,
J'entends fille de quinze ans,
Reste sage
Comme fille du village !
Impossible! et qui ne sait
Que l'innocence qui plaît
Est plus fragile que la rose
A peine éclose,
Qui s'effeuille au toucher
De l'insecte léger ?
C'est fleur qu'un souffle altère et brise,.
Et qui, surprise
Par l'œil du jour, se ternit;
Qui, jeune, enfin sous l'odorat vieillit.
N'en parlons plus. Je reviens au village
Retrouver mes bons paysans.
Ami, par quels moyens puissants,
Au fermier dit le sage,
Fais-tu régner la paix et le bonheur?
Tout est plaisir dans ton intérieur:
Ton épouse t'adore;
Joyeuse, dès l'aurore,
Elle partage tes travaux :
Le blond épi tombe sous les faucilles
De tes filles,
Qui, par leurs chants animent les coteaux.
Ton regard vivifie
Ton entourage accoutumé;
Tu es heureux, tu es aimé!
Réponds-moi. — Ma philosophie
Se base sur l'amour:
Si, fatigué, je viens de la montagne,
Vers moi je vois accourir ma compagne.
A mon retour,
Jcnny, ma première fille,
Prépare, au foyer qui pétille,
Notre frugal repas.
Ses soeurs se jettent dans mes bras;
Entr'elles je partage
De doux baisers ; et cela me soulage,
Le bonheur suit mes pas.
Vient la veillée ;
Tandis que mes enfans filent la quenouillée
Qui procure l'habit dont je suis revêtu,
Je leur parle du ciel, de la sainte vertu,
Ornement de la jeunesse.
Mon récit intéresse,
Je cesse de parler que l'on m'écoute encor.
Mais passons-nous par quelque épreuve !
Aux pieds du Christ notre âme trouve
L'espérance ô doux trésor !
La fervente prière,
Aux affligés familière,
Sèche nos pleurs,
Ecarte loin de nous la crainte et les malheurs.
Je connais les plaisirs; rarement les douleurs.

À cette philosophie
Tout entier je me fie.
Messieurs de la sagesse, esprits présomptueux,
Déchirez votre code ;
D'un villageois apprenez la méthode
Pour vivre heureux.

Livre III, fable 4




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