L'Âne philosophe Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un honnête fuie un jour s'avise
D'avoir un peu d'ambition.
« Entendrai-je toujours parler de nia sottise ?
Ne sortirai-je point de ma condition ?
Se dit-il, noblement enflammé de colère.
Partons ! vite à la cour ! je sais gentiment braire,
Porter bât, sacs, petits et grands fardeaux ;
D'ailleurs, maints sots, dit-on, y font très bonne affaire.
Je ne suis pas mal fait, on en voit de moins beaux. »

Le voilà tout de bon en route.
Comme tout autre homme à projets,
11 rêve, sourit... plus de doute !
Tout réussit aux bons sujets !

À la cour il arrive
Et fait son compliment.
La joie était peu vive,
Et l'accueil poliment
Dédaigneux... c'est l'usage.

Mille courtisans réunis,
Au lion offrent leur hommage ;
Le timide et le sot sont persiflés, honnis,
La faveur est à l'impudence.

L'âne a son gros bon sens, et pense
Que le privilège flatteur
Du roi d'un bon peuple est de régler son bonheur.
Il écoute, attentif, regarde ;
Qu'entend-il ? chant de rossignol,
Propos galants et vains, plans de chasse et de vol
Il s'indigne et recule, à parler se hasarde,
Vante son zèle, annonce ses talents.
On le bafoue ; il va se mettre à braire,
Quand un singe, en le faisant taire,

De son ardeur arrête les élans.
Il le tire à l'écart, et dit: « Quelle imprudence !
De quel moulin arrives-tu ?
Sot ! en ce lieu, parle-t-on de vertu ?
Quelle est cette indécence ?
Que dis-tu de bât, de fardeau ?
Pour nous, ce langage est nouveau ;
Veux-tu qu'à la cour on travaille ?
Nous en laissons le soin au peuple, à la canaille.
Mon cher, veux-tu rester ici ?
Flatte, lèche, rampe, caresse,
Comme nous tous, tu parviendras aussi ;
Tu seras, en un mot, de la haute noblesse. »
Répond, tout indigné, notre censeur ânon ;
Qu'un singe, sans honte, aille encenser un vil maître ;
D'accord ; mais moi ? je suis honnête et je veux l'être !
Va briguer des honneurs, je préfère un chardon ! »
— Ce discours m'éclaire... il est bon !

Livre III, fable 15




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