Le Philosophe et les deux Ânes L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Un sage de l'Antiquité,
Bien autre que tous ceux que l'on voit à cette heure,
Se promenait, un jour d'Eté,
Aux environs du lieu de sa demeure.
Comme il était toujours occupé du profit
Qu'il voulait recueillir de la Philosophie ,
Il ne se passait point de moment dans sa vie
Qu'il n'y pensât, quelque chose qu'il fit,
Deux Ânes le voyant dans cette rêverie
N'ayant, pour tout son entretien,
Qu'un petit Livre dans la main,
Pendant que de chardons ils faisaient chère lie,
Ne pouvaient assez s'étonner
De le voir sottement, selon eux, s'occuper
A regarder les feuillets de son Livre.
Quoi de ces mets s'imagine-t- il vivre ?
Se disaient- ils en mangeant leurs chardons,
Eh ! peut-il voir l'émail de ces prairies
Et les appas de ces plantes fleuries,
Sans s'en gorger ainsi que nous faisons ?
Non de ces mets qu'à ses yeux nous mangeons
Il ne fait pas sans doute, les délices.
Pauvres humains que vous êtes novices
De préférer un livre à nos chardons.

Combien voit-on de Gens flatté de l'avantage
D'avoir la raison en partage,
Se laisser maîtriser à leurs désirs gloutons,
Et qui dans les excès où le vin les engage,
Tiennent un semblable langage,
A celui qui s'est fait entre nos deux Grisons.

Livre I, fable 10




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