Le Philosophe et les Faisans John Gay (1685 - 1732)

Un sage s'éveillant à la pointe du jour,
A travers les bois d'alentour
Prit son chemin, séduit par la douce musique
Qui des bosquets voisins s'échappait en cantique,
Il erre sous l'ombrage, et sous les aliziers
D'arbre en arbre, il entend de ravissants gosiers,
Mais las ! dès qu'il approche, adieu la bucolique,
Le chant s'arrête court, dans les azéroliers
Avec effroi font silence les Grives,
Les Rossignols sur leurs ailes craintives
Fendent l'air, et les animaux
De fuir à son aspect, comme on fuit les fléaux.

D'où provient cet effroi de chaque créature,
Est-ce nous que l'on fuit ou bien notre nature ?

Comme il marchait en ruminant ainsi,
Son oreille surprit des sons couci-couci,
D'un pas de loup de plus près il s'approche,
Caché par l'ombre d'une roche.
Une Poule Faisande était perchée au haut
D'une branche-autour d'elle écoutait sa couvée :
Elle fière des fruits de sa couche-aussitôt
De dire: " A temps, vrai, je suis arrivée
Pour vous donner à tous un salutaire avis :
C'est de craindre bien moins tous les oiseaux de proie
Eperviers ou Vautours que l'homme. Dans sa voie
Qui se trouve est bientôt occis ;
Car l'homme, croyez-le , j'en ai la certitude,
Est un monstre d'ingratitude.
Exemple:-La Brebis dont la chaude toison,
Est teinte chaque année, et donnée à foison,
Pour soigner sa santé, pour faire sa parure,
Est livrée aux bouchers, à ces vils assassins,
Pour égayer chacun de ses festins .
Et ces nombreux essaims d'abeilles,
Ce fruit de leur labeur, merveille des merveilles !
L'homme est là qui vient le guigner
Afin plus tard de l'empoigner.
Et remarquez le tribut que dame Oie
Paye à ces animaux de proie.
Sa plume sert à leurs travaux,
Elle augmente le gain de leurs hommes d'affaires,
Leurs amours sont ses tributaires,
D'un bout du monde à l'autre elle sert de signaux ;
De ces nombreux bienfaits quelle est la récompense ?
J'en frémis quand j'y pense...
Cet être malfaisant
L'homme, arrache la plume, et puis il mange l'Oie ;
Sachez donc vous garer, pour toujours de sa voie,
Ou votre sort ne serait pas plaisant ;
Vous tâteriez du tourne-broche,
Et seriez tous par lui mis un jour à la broche."

Livre I, fable 15




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