Un Philosophe, Blaise et les deux Échelles Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

En grandeur différant entre elles,
Auprès d'un puits se trouvaient deux échelles.
Par là Blaise passant
Dit en les regardant :
Ici c'est le ciel qui m'envoie ;
Du bonheur je suis sur la voie.
J'ai vu dans de fort bons écrits
Qu'au fond d'un puits
La vérité réside.
À descendre dans celui-ci,
Si mon courage me décide,
Et qu'enfin je la trouve, ah ! c'est clair, me voici
Dans le monde un grand personnage.
D'un superbe château d'abord je fais l'achat,
Et dans le plus leste équipage,
Je m'y rends en homme d'Etat. ---
Blaise était faible de cervelle,
On le verra par ses apprêts.
À terre il couche chaque Echelle,
Et, sans ménager la ficelle,
Des deux il n'en fait qu'une ; après
Dans le puits il la glisse.
Un philosophe alors le regardait.
Le pauvre Blaise, sans malice,
Tout bonnement l'instruit de son projet.
« Mon ami, lui dit-il, ton erreur est extrême ;
Quand on dit que la vérité
Habite un puits, c'est un emblème ;
D'ailleurs contre la pauvreté,
Elle pourrait peu te défendre :
On se plaît à la dire, et jamais à l'entendre.
Elle a repris son essor vers les cieux ;
C'est une reine infortunée,
Par le mensonge détrônée,
Et qui vient consoler encor les malheureux.
Mais veux-tu voir ta vie
S'écouler au sein du bonheur,
Qu'elle soit ici bas ta déité chérie,
Et qu'elle ait constamment un asile en ton cœur. »

Livre III, fable 17




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