Le Philosophe et la Rose Étienne Fumars (1743 - 1806)

Un philosophe, un jour, vit briller une rose
Dont le jeune parfum, la beauté, la fraîcheur,
Flattaient les sens, parlaient au cœur.
Il la sentit ; c’est peu de chose :
Sur cette rose il raisonna…
Tandis qu’il raisonnait la rose se fana.

Voilà le philosophe : il veut toujours connaître
D’où lui vient un plaisir et s’il a droit de naître :
Pour juger s’il existe, il le force à mourir.
Qu’ai-je besoin d’esprit quand mon cœur s’abandonne ?
Le sentiment se fane alors qu’on le raisonne.
C’est la rose : il faut la sentir.
—En autrui, dites-vous, ce n’est que soi qu’on aime.
Eh ! que m’importe à moi si je jouis de même ?
Quand je suis affecté délicieusement,
Irai-je rechercher, troublant ma jouissance
Pour les fausses lueurs d’une vaine science,
Si mon cœur croit aimer, ou s’il aime vraiment ?
De tristes raisonneurs ont glacé la morale ;
Par eux le sentiment est d’abord arrêté ;
S’il cesse de sentir, notre cœur se ravale :
L’homme fut fait exprès pour la société.
Le besoin qui le porte à chérir son semblable
N’est point illusion ; il est réalité.
Sans doute on est heureux de se sentir aimable,
Bon père, bon parent, bon ami, bon époux ;
Mais en sont-ils moins purs ces sentiments si doux ?
Nous aimons à la fois et les autres et nous :
Notre cœur est un point ; l’amour le rend immense.
Je savoure les dons de cette intelligence
Qui lia l’homme à l’homme et nous fit tous pour tous,
Qui rit de tes calculs et de ton impudence,
Calculateur cruel, philosophe en démence !
Satisfait, je jouis des présents de sa main,
Et ne calcule pas pour être plus humain.





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