Le Renard et l'Âne Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Le plus infortuné des rois,
Un lion, retiré dans un antre sauvage,
En frémissant dictait des lois ;
Le moindre mot lui donnait de l'ombrage.
Sans cesse entouré de flatteurs,
D'intrigants, de vils corrupteurs,
Aux vœux de ses sujets il fut inaccessible.
Quand dame Vérité chez lui
Demandait audience, il était invisible.
Un bon roi de son peuple est le père et l'appui >
Du sien le fier lion se fît haïr et craindre.

« Dans notre intimité, dit tout bas le renard,
11 faut sagement nous contraindre ;
Car, si l'on nous voyait ensemble, par hasard,
On pourrait croire, mon cher âne,
Que nous disons du mal du roi ;
Pour un soupçon l'on nous condamne.
— Qui, dit naïvement l'âne en sa bonne foi,
Qui donc empêche un roi (soit dit en confidence)
De penser qu'on en dit plus de bien que de mal ?
— Sa conscience !...
— Je 11e suis qu'un pauvre animal ;
Explique-moi cette sentence.
— Le bon, le juste, en son intégrité,
Montre ses actions, sans craindre la censure ;
C'est un triomphe où brille au loin son équité.
Le despote, au contraire, y croit voir une injure,
Craint d'entendre une vérité,
Défend que de se plaindre on ait la liberté...
— C'est bien dit, répond l'âne, et la leçon est grande ;
Quel dommage, en effet, que le roi ne l'entende ! »

Livre V, fable 10




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