S'associer à plus puissant que soi,
Un sage nous le dit, est acte de folie ;
Il fait plus, il le prouve ; et son heureux génie
À revêtu, de ce je ne sais quoi
Qui de la raison même étoufse le murmure,
Le conte charmant d'où jaillit
Cette morale et si vraie et si pure
Dont pour son âge mûr l'enfant fait son profit.
Pourtant j'ai, de ce même conte
Arrangé pour d'autres acteurs
Par un de ces obscurs auteurs
Dont on ne fait nul cas, dont on ne lient pas compte
Vu tirer un autre argument
Qui m'a paru n'être ni moins plaisant,
Ni moins vrai, ni moins bon, ni surtout moins utile.
Je vais le traduire en mon style.
Puisse-t-il n'y pas perdre ! et vous, mes chers Lecteurs,
Puissiez-vous n'y pas voir le dessein sacrilège
De contester son privilège
Au prince, au maître des couleurs,
A celui d'entre tous qui seul pût trouver grâce
Auprès de uos graves rhéteurs
Tenant la férule au Parnasse,
En appelant des animaux broutans,
La pauvre brebis, la génisse,
Même la chèvre sans malice,
Et cependant auteur du guet-à-pens,
A partager un cerf devenu leur victime
(Quoique aussi leur frère, à-peu-près,)
Avec le tyran des forêts
Qui n'aime que le sang et ne vit que du crime !
Mon auteur dispose autrement
De ce riche sujet. Maître de sa matière,
Nous l'y verrons trouver un autre dénoûment.
Reveillé par la faim, mauvaise conseillère,
Un beau matin, sortant de sa tannière,
Sire lion entend se donner dans les bois
Le Passe-temps ou le plaisir des rois ;
C'est-à-dire, chasser. Un âne se présente.
Tremblant devant sa majesté,
Il reste la bouche béante ;
Mais le monarque avec bonté
D'un mot bannit la peur dont son âme est atteinte.
« Tu me viens à propos pour me servir de cor,
Lui dit-il : de ces bois fais retentir l'enceinte
Du bruit de ta voix de Stentor ;
Le renard que voila nous mettra sur la trace
Du gibier traqué dans son fort ;
De mon premier veneur je lui donne la place.
Partons. » Par son malheureux sort,
Jeté la larme à l'uni dans les bras de la mort,
Un pauvre cerf bientôt signale les prouesses
Du roi des animaux, qui vous le met en pièces ;
Et sur-le-champ, voulant que chacun ait sa part,
Lui d'abord comme sire, ensuite le renard,
L'âne lui-même enfin, dans la chasse royale.
Charge maître baudet de séparer les lois.
L'âne obéit. Mais quel scandale !
Comme un juré priseur, ses scrupuleux sabots
De ces trois parts font l'une à l'autre égale !
A cet aspect, saisi du plus noble transport,
D'un châtiment subit précurseur infaillible,
Le lion vous lui lance un regard si terrible Q
ue l'une, en sa frayeur, en tombe roide mort.
Soudain, l'œil du monarque étincelle de joie.
« Nous avons une double proie
A partager, dit-il : renard, fais ton métier.
Je la mets d'abord en quartier.
La voila : prends ta part et me laisse la mienne.
— Sire, c'est fort aisé, répond maître Vulpin !
Quoiqu'ici tout vous appartienne,
Puisque vous m'admettez a l'honneur du festin,
“Voici ce que j'y prends. » De l'air d'un saint apôtre,
Et paraissant n'y toucher qu'à regret.
Il arrache, à ces mois, la queue à feu baudet,
El dit : « “Voici ma part ; tout le reste est la vôtre.
— C'est trop peu, c'est trop peu, réplique le lion !
Tu mets ici, l'ami, trop de discrétion !
Choisis mieux. — Non, seigneur, pour plus d'une semaine
Mon lot me suffira sans peine.
J'ai ma part de sujet, à vous celle de roi.
— C'est agir et parler comme il faut ! mais dis-moi,
Qui t'a si bien appris la loi sainte et sévère
De la justice ? — Qui ? c'est ce pauvre baudet.
— Il l'ignora lui-même ! — Eh ! par ce qu'il a fait,
Excitant contre lui votre juste colère,
Ne m'a-t-il point appris ce qu'il ne faut pas faire ? »
Commente qui voudra ce discours de renard.
“Mon auteur s'en abstient : je dois faire de même.
Accuse qui voudra son art
D'avoir laissé sa morale un problème.
Fidèle traducteur, c'est assez pour ma part,
Si l'on n'a rien à redire à mon thème.