L'antiquité nous dit : « La crainte a fait les dieux, y
Ne prenons point pour nôtre une telle maxime,
Nous, partisans du vrai, nous, chrétiens sérieux,
Gardons-nous d'effleurer d'un doute injurieux
Les révélations de notre foi sublime,
Examinons pourtant d'un esprit curieux
Ce mouvement mystérieux,
Cette crainte pusillanime
Qui s'empare des cœurs et qui met sous sa loi
Les grands et le vulgaire et le pâtre et le roi.
Même les animaux en subissent l'empire ;
Mille traits sont là pour le dire,
Et, chez nous et chez eux, tous des plus surprenants
Le grand Condé croyait aux revenants ;
Une souris faisait peur à Turenne ;
Et quand Pépin descendit dans l'arène
Pour y combattre un taureau furieux,
Un limaçon qui s'offrit à ses yeux
Fit passer dans son âme un trouble involontaire.
Qui pourrait dire le mystère
Du rapport de son être à ce colimaçon.
Napoléon, qui peut aller de taille
Avec Condé, Turenne et gens de leur façon,
Un vendredi n'eût point livré bataille.
Voilà pour les humains ; et, quant aux animaux.
Voici ma fable à leur propos :
Un Lion, suivant l'histoire,
Entendant un coq chanter
(Le coq est sa bête noire)
Se prit à s'épouvanter,
Même à fuir de telle sorte
Que, dans l'ardeur qui l'emporte
Hors de son tempérament,
On eût dit que la nature,
Par quelque dérèglement,
Reniait sa créature.
Un Lion fuir ! quel affront
Pour toute sa noble race !
Aussi, voyez quelle trace
En va rester sur son front :
Un Ane avait vu sa fuite
Et, courant à sa poursuite,
« Le jour de ma gloire a lui, »
Dit l'impertinente bête,
Criant à rompre la tète :
« C'est devant moi qu'il a lui ! »
Puis, redressant son oreille :
« De ma valeur sans pareille
Qui peut douter aujourd'hui ? »
À la voix du baudet qui lui fait cet outrage,
Le Lion, tout honteux, rappelant son courage,
Se retourne incontinent,
Et, secouant sa crinière,
Sous sa grifse meurtrière
Ecrase l'impertinent.
Si d'une honteuse crainte
Le Lion dûment guéri
Fut désormais à l'abri
D'une humiliante atteinte,
L'histoire ne le dit point.
Mais j'y vois un double point
De moralité profonde.
Le premier, que, dans ce monde,
Il n'est homme si puissant
De grandeur ou de génie,
Qui n'ait son côté glissant
De faiblesse ou de manie.
L'autre, qu'on vit longtemps si l'on n'est que poltron ;
Mais qu'il ne faut pas joindre à sa poltronnerie
Insolence et forfanterie :
Témoin ce qu'il advint à maître aliboron ;
« Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron ? »