Tout est changé dans la nature !
Disait un bon Vieillard à ses Petits- Enfants :
S'il m'en souvient, autrefois, sur nos champs
Le soleil répandait une clarté plus pure,
Et ses rayons étaient plus pénétrants ;
Alors, moi, j'avais chaud même à l'ombre, et ma vue
Distinguait beaucoup mieux les objets qu'aujourd'hui ;
S'il m'en souvient encor, la chanson imprévue
Du Pèlerin, qui, pour chasser l'ennui,
De quelque gai refrain s'accompagne en voyage,
Me réveillait parfois, et je priais pour lui.
Mais, durant le jour même, assis dans le bocage,
A peine des Oiseaux si j'entends le ramage ;
Chantent- ils moins souvent, ou n'ont-ils plus de voix ?
Les Oiseaux, mes Enfants, chantaient mieux autrefois,
Et vous, que j'aime tant, ma petite famille,
Craignez-vous donc de m'étourdir ?
Ah ! votre mère Pétronille
Parlait, chantait, riait, qu'on n'y pouvait tenir ;
C'était un bruit !... Mais vous... les Saints de notre Église
Sont moins muets, je crois... Faut-il que je le dise :
Je veux qu'on parle haut ; j'aime les tapageurs ;
Et j'ai, pour qui voudra n'en faire qu'à ma guise,
Certains fruits...Autrefois, ils me semblaient meilleurs,
Comme les fleurs aussi me paraissaient plus belles,
Et d'un autre parfum ; mais, les saisons rebelles
Otent le goût aux fruits, et le parfum aux fleurs :
Dieu le veut... A votre âge, on n'est pas dissicile :
Vous les voyez ; allons, mes fruits au plus habile !
Courage, Enfants ! haut la voix !... haut !... Plus haut !…….
J'eus toujours l'oreille assez tendre,
Et, je vous le répète, Enfants, votre défaut,
C'est de ne point savoir vous faire entendre...
Mais, je prêche des sourds !... On n'y peut rien comprendre !...
Ainsi que les Oiseaux, n'avez-vous plus de voix ?
Ah ! les Enfants parlaient beaucoup mieux autrefois !...
Puis, s'endormant alors, notre Vieillard murmure :
Tout est changé dans la Nature !
Et l'aîné des Enfants, gars en qui la raison
Fort à propos avait devancé l'âge,
Les voyant rire assez hors de saison,
A ses frères tint ce langage :
C'est notre Bisaïeul ! silence, mes amis,
Nous lui devons tendresse pour tendresse,
Il nous a toujours tant chéris !
Mais, respectons, surtout, l'erreur de sa vieillesse...
Frères, nous serons vieux un jour ;
Ah méritons, à notre tour,
Qu'on la respecte, en nous, cette erreur salutaire ;
Car, dans un livre du Grand- Père,
Un livre dont, sans doute, il ne se souvient pas,
J'ai lu ces mots : Heureux qui croit que, sur la Terre,
Tout change autour de lui, lorsqu'en lui seul, hélas !
Sens et Raison, tout change et tout s'altère !