La Marchande de pêches Etienne Catalan (1792 - 1868)

Encore une Perrette et preste et bien accorte,
Encore une Perrette et qui trotte, et qui porte
Son espoir au marché voisin,
Sans crainte, cette fois, de l'épandre en chemin,
Songeât-elle à danser tout le long de la route ;
Car, cet espoir gisait au fond d'un beau panier
De dix pêches, que l'œil ne peut voir le premier,
Que le palais d'avance ne les goûte :
Goûter ainsi , pour le palais , c'est voir.
Or, Perrette pouvait, sans un droit usuraire,
De quatre cents pour cent arrondir son espoir ;
C'était là son tarif et sa loi somptuaire :
On sait que les gourmands pullulent sur la terre !...
Elle allait rapporter, avant la fin du jour,
Quatre bons francs de bénéfice,
Ce qui lui permettrait, aussitôt son retour,
De quadrupler ses achats : l'appendice
Se quadruplant le lendemain,
Dieu sait déjà ce que, de gain en gain,
Avant la fin de la semaine,
Elle aurait amassé ; mais , à la fin du mois,
Sa cassette au moins serait pleine...
Messieurs les galants, cette fois,
Devaient, de tous côtés, lui venir par douzaine :
Elle n'aurait donc plus que l'embarras du choix... -
« Mais , voyez les beaux fruits ! Mignardes, quelle bouche
Sera digne de vous ? Votre destin me touche :
Comme vous feriez bien au dessert d'un Prélat ! »
Et, là-dessus, Perrette en saisit une,
La tourne, la retourne, et se dit que chacune,
Pour sa couleur, pour son goût délicat,
Vaut au moins celle-ci... Crac, voilà que la pêche,
Que Perrette admirait, Perrette la dépêche,
Sans trop savoir pourquoi, sans trop penser à mal ,
Par quelque mouvement nerveux et machinal.
Mais, le premier pas fait, soudain sa convoitise
Et s'éveille et la pousse : << Ah! que c'est bon ! ma foi,
Si celle que je tiens comme l'autre est exquise,
Je disais un Prélat , il faudrait dire un Roi !
Voyons si je me trompe... » Et la seconde y passe...
« Oh! pour le coup, c'est du délicieux ,
Et ce fruit-là, frappé de glace,
Eût paru dignement même au banquet des Dieux ! ... »
Puis, une fois en train, la gourmande Perrette
Ne s'en tient pas à deux ; mais, d'encor en encor,
Trouvant, à chaque fruit, quelque raison parfaite
D'en tåter un nouveau : le dixième eut le sort
Que venait de subir, à l'instant, le neuvième ;
Bref, en dépit de tout l'art de Barême,
Notre étourdie, à sec ayant mis son trésor,
Et fait prendre à l'espoir la poudre d'escampette,
Force lui fut, hélas ! de revenir,
Avec de beaux remords pour remplir sa cassette.

Combien de gens on voit, qui, riches d'avenir,
Dévorant le présent, gaspillant l'espérance,
Pour ne savoir se plaindre aucune jouissance,
Marchent tout droit, comme elle, au repentir !