Le Canard, le Dindon, l'Oie et le Pigeon Fortuné Nancey (? - 1860)

Un canard, un dindon, une oie,
Habitaient même basse-cour,
Où riches de tous biens, ils pouvaient à cœur joie
Pâturer, barboter, s'engraisser tout le jour.
Ils devaient être heureux, si le bonheur sur terre,
Consiste à n'éprouver en rien,
De ces privations qui font que la misère
Souvent de la richesse a convoité le bien.
Mais malgré cependant la confortable vie
Offerte à leur avidité,
Quelque chose manquait à leur félicité ;
Tous trois ils éprouvaient accès de jalousie ;
Non entr'eux, à coup sûr ; nul sentiment rival
Ne montrait à leurs yeux, l'un à l'autre inégal.
Mais un simple pigeon., qui, d'une aile légère,
Venait près d'eux s'abattre en quittant sa volière,
Excitait seul les mouvements jaloux,
Qui devaient un beau jour, l'exposer à leurs coups.
« Comment, se disaient-ils, un aussi petit être,
« Ose-t-il dans nos rangs paraître ?
« Le moindre d'entre nous, peut aisément dix fois
« Dans la balance équilibrer son poids ;
« Sa tournure est sans grâce., et quant à son plumage
« Au nôtre assurément il doit céder le pas.
« D'où viennent donc alors, ces airs, ces embarras,
« Dont en se rengorgeant ce mince personnage,
« Nous fatigue en faisant pitié?
« Croit-il, parce qu'il peut, au-dessus de nos têtes
Voltiger, faire des conquêtes,
« Que personne sur lui n'osera prendre pied ?
« Après tout, par quel privilège.,
« Aurait-il le pouvair, dont il paraît si fier,
« De s'élever ainsi, seul, et de fendre l'air ?
« Cet heureux don en vain contre nous le protège ;
« Nous saurons bien l'atteindre et l'abaisser.
« Dans ses ailes est son mérite,
« Sachons l'en dépouiller bien vite ;
« Puis après, plus que nous, s'il cherche à se hausser,
« L'entreprise à coup sûr lui sera moins facile. »
Aussitôt fait que dit ; l'innocent volatile,
Qui n'a rien fait de mal, et parlant rien ne craint,
Par trois becs cependant, cruellement atteint,
Avec cette aile, objet de tant d'envie,
Se voit presque arracher la vie.

Qu'en revînt-il de plus à nos oisons ?
Rien ; mais l'homme lui-même à tout ce qui s'élève,
Ne fait-il pas souvent et sans plus de raisons
Obstacle sans repos ni trêve ?