Les Canards Emile Erckmann (1822 - 1899)

La vie est une comédie
A mille actes divers ;
Qu'on le déplore ou qu'on en rie,
Momus gouverne l'univers !
Témoin certain canard, innocent et modeste,
Qui parmi ses pareils vivait sans embarras.
Étant à prendre le moins leste,
il était aussi le moins gras.
Sa maigreur, dans la confrérie,
L'exposant chaque jour à quelque raillerie,
il s'en éloigne et, par hasard,
Aperçoit un morceau de lard.
De peur qu'un autre ne le gruge,
Sans hésiter il se l'adjuge.
Ce lard, où s'attachait un fil,
Ayant passé par l'œsophage,
Apparut bientôt de profil
Au croupion du personnage.
Grand émoi dans la basse-cour :
La nouvelle au loin se répète ;
De tous côtés on la trompette,
Il devient le héros du jour.
On l'aborde, on le congratule :
« Ahl monseigneur,
J'ai bien l'honneur
D'être votre humble serviteur. »
Pour éviter le ridicule
En se défendant il recule,
Et court se cacher dans un coin.
Mais on le découvre de loin ;
La foule autour de lui s'empresse,
On vous lui donne de l'altesse,
De l'excellence, et cætera,
Attrape le lard qui pourra...
Voyez, amis, par cette histoire,
De quoi souvent dépend la gloire.

Livre I, fable 11




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