La Tortue et les Canards Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Une Tortue était, qui se plaignait aux Dieux :
Quelle nécessité de traîner en tous lieux
Mes Lares et mon toit, quand je rampe à grand'peine ?
C'est hasard si dans ma semaine,
Au tour du petit bois qui borne ma prison,
J'achève en haletant mon ennuyeuse ronde.
Ce qui se passe, hélas ! dans le reste du monde,
Je l'ignore et peut-être ailleurs ignore-t-on
Si Jupiter fit des Tortues.
Tandis qu'en un clin d'œil s'élevant jusqu'aux nues,
Tant d'oiseaux parcourant les vastes champs des airs,
Pénètrent au-delà des mers,
Portent leur renommée aux terres inconnues,
Et de leur existence emplissent l'Univers !
Ô toi qui fis les Canards et les Grues,
Es-tu le Père des Tortues ?
Au moment que l'Infante assourdit les échos,
Elle voit maint Canard faisant la culebute
Du haut des airs au fond des flots ;
À cent traits meurtriers les pèlerins en bute,
De leur sang rougissaient les eaux.
Quelle chute !... O Jupin ! ces machines mortelles,
S'écria la recluse, ont dessillé mes yeux ;
Se donner en spectacle est par trop périlleux ;
Conferve-moi mon toit, je me passerai d'ailes.
Fout tremblant, à ces mots, le pauvre bestion
Retire tête et pieds au fond de sa maison.

Livre II, fable 18




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