Sur l'humide gazon d'une forêt obscure,
Un serpent déroulait ses anneaux tortueux,
Quêtant, cherchant à l'aventure
Quelle innocente créature
Il ferait expirer sous son dard venimeux ;
Quand aux bords d'un marais se présente à sa vue
Un hérisson suivi d'une tortue,
Animaux d'humeur douce et d'honnêtes penchants,
Et partant fort sujets à subir les injures,
Les violences, les morsures,
Des envieux, des forts et des méchants,
Comme sont messieurs les serpents.
Du mal qu'il a rêvé savourant l'espérance,
De joie en les voyant le reptile a sifflé ;
Et le cou de venin gonflé,
Sur la tortue avec rage il s'élance.
Mais, par un instinct merveilleux,
La tortue a déjà, sous son toit écailleux,
Abrité prudemment ses pattes et sa tête ;
Et, de vains coups de dents assaillant ce rempart,
L'impuissante et maligne bête
Use contre l'écaille et ses crocs et son dard.
Le serpent s'est lassé d'une lutte inutile,
Et sur le hérisson sa fureur se rabat ;
Mais il n'a point trouvé, dans ce nouveau combat,
Une victoire plus facile :
Le hérisson s'est ramassé,
Et n'offre qu'un ballon de pointes hérissé
À l'avidité du reptile.
Le premier coup de dent est aussi le dernier.
Le serpent jette un cri d'angoisse et d'épouvante,
Recule, et, s'échappant à travers un hallier,
La langue déchirée et la gueule sanglante,
Va cacher son dépit en son impur terrier.
De la tortue alors le museau se hasarde ;
Son œil furtif de tous côtés regarde.
« Eh ! dit-elle, es-tu mort, mon pauvre compagnon ?
Le méchant n'a pas même entamé ma cuirasse....
- J'ai fait mieux, dit le hérisson ;
J'ai châtié le drôle, et sans cette leçon
Il Il n'aurait pas quitté la place. »
Ce double exemple est un fort bon avis
La patience et la philosophie
Sont des recettes d'un grand prix
Pour braver les traits de l'envie,
Les assauts de la haine et de la calomnie.
Mais que font aux méchants vos innocents mépris,
Vos vertus même ?... hélas ! ce sont peines perdues.
Voulez-vous être en paix avec vos ennemis ?
Soyez plutôt hérissons que tortues.