Le calise Al-Raschid et Giafar le vizir
Allaient par le pays déguisés en derviches.
Répandre des bienfaits était leur seul plaisir :
Ce devrait être aussi le seul plaisir des riches.
Les royaux pèlerins virent près d'un palais
Un homme à coups de pied chassé par des valets.
Al-Raschid dit au maître : « Est-ce ainsi que Ton traite
Celui qui vient au nom de l'hospitalité ?
Tu dois au voyageur sous tes murs arrêté
Le froment pour sa faim, le chevet pour sa tête.
As-tu vu par ses mains ton palais dévasté ? »
Le riche répondit : « Non pas, en vérité;
Mais c'est un étranger maudit par le prophète,
Un de ces vils chrétiens ennemis du Coran... »
Le calise poursuit : »Le pauvre est notre frère !
Ecoute un apologue et sois plus tolérant :
Un jour à l'oasis le serpent en colère
Disait : »Aveuglément tu prodigues tes eaux,
L'ombre de tes bosquets, le chant de tes oiseaux.
Et tes rayons de miel et tes fruits si suaves ;
L'impie et le croyant, les rois et les esclaves.
Les méchants et les bons, tous indistinctement
Viennent dans tes trésors puiser abondamment...
— C'est vrai, dit l'oasis ; j'offre à tous un refuge
Contre la faim, la soif et l'ardeur du soleil ;
C'est vrai, car à mes dons tous ont un droit pareil.
Je suis leur bienfaiteur : Allah seul est leur juge !«
Or, le riche écouta la fable en souriant.
Et puis en son palais menant le mendiant,
Il lui fit par ses soins oublier son outrage.
Et les deux pèlerins reprirent leur voyage.