Sur un chemin de fer, dont la double nervure,
Aux miracles de l'art soumettant la nature,
Courait en noirs filets sur les monts nivelés,
Les fleuves asservis et les vallons comblés,
La machine de Watt, en sifflant élancée,
Du bruit de ses pistons frappant l'air agité,
Volait, rasant le sol, par la vapeur poussée ;
Et défiant, dans sa rapidité,
L'attelage divin par Homère chanté.
Comme une comète enflammée,
Elle jetait aux aquilons
En épais et noirs tourbillons
Sa chevelure de fumée.
Trente wagons, chargés d'hommes et d'animaux,
Étaient dans son essor entraînés sur sa trace.
On eût dit un village, habitants et troupeaux,
Qu'un ouragan fougueux emportait dans l'espace ;
Et de cette merveille avides spectateurs,
Tous les peuples du voisinage
Couraient saluer son passage
De leurs transports admirateurs.
Tout à coup la machine, échappant de sa voie,
A travers les rochers court, éclate et se broie.
Le fracas des wagons par les wagons heurtés,
Les cris des voyageurs l'un sur l'autre jetés,
Font succéder l'horreur à la publique joie.
Ce train si pompeux, si bruyant,
Où l'homme avec orgueil contemplait sa puissance,
N'est plus qu'une ruine immense
D'hommes et de débris pêle-mêle effrayant.
Et d'où vient ce malheur, cette prompte déroute ?
D'un tout petit caillou qu'a jeté sur la route
La main débile d'un enfant.
Ô vous que, dans ce temps si fertile en naufrages,
De la fortune encore enivrent les faveurs,
Conquérants de tous les étages,
Grands auteurs dont l'esprit se perd dans les nuages
Où vous ont élevés des compères menteurs,
Vous tous qui d'un char de victoire
Crottez le pauvre monde, et vous faites accroire
Que le jour ne luit que pour vous,
Brillants aventuriers, illustres casse-cous,
Triomphez, roulez votre gloire ;
Mais gare les petits cailloux !