La Machine à vapeur et le Berger Fleury Donzel (1778 - 1852)

Immense scolopendre aux mille pieds roulants,
Une ligne de chars, de sa machine armée,
Semant le feu, sifflant, soufflant flamme et fumée,
Sur deux rubans de fer, s'avançait dans les champs
Accourez, bourgeois, paysans,
Criait, à fendre les oreilles,
La machine à tous les passants
A genoux devant ces-merveilles !
De la richesse et du savoir
Venez adorer le pouvoir.
Entendez-vous cette insolente !
Répondait un Berger. Guillotine ambulante,
Qui m'as pourfendu mes moutons ;
En deux coupé mon héritage,
Incendié mes blés et gaspillé mes fonds.
Quand ma ruine est ton ouvrage,
H faudra t'adorer, toi fille de l'Enfer,
Avec ta flamme et ta fumée
Et ton sifflet de Lucifer !
Quand je te trouve désarmée !
Quand je puis dans un tour de main,
T'anéantir sur ton chemin !
—Ah ! j'ai pitié de ta folie ,
Reprend la Machine : ignorant,
Petit rustre, pauvre manant !
Insensé, va, je te défie.
— Nous allons voir, dit le Berger
Qui brûle alors de se venger. —
Sans perdre du temps, il ramasse
Un caillou qu'à cheval sur les rubans il place.
C'en est assez -. la roue abandonne la trace :
Le train déraille, et contre un roc
La Machine frappe ; et du choc,
Tout se renverse, tout se casse.
Le Berger est vengé, le sot orgueil puni.
Beaucoup diront : c'est pain bénit.

De ce récit tirons l'enseignement qu'il donne :
J'y vois, comme il n'est point de petit ennemi,
Qu'il faut ne défier personne ;
Il nous fait souvenir aussi
Que toute puissance est fragile ;
Qu'un colosse souvent que des pieds d'argile.

Livre III, fable 7




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