Le Ver et l'Abeille Philippe Barbe (1723 - 1792)

Un jour, le Ver s'adressant à l'Abeille,
Tu te crois, disait-il, une insigne merveille,
Un ornement de ce vaste Univers.
Abus. Tu voles dans les airs,
Je le sais ; de ton miel la douceur sans pareille
Tu fait chérir de l'homme que tu sers.
Mais au prix de nous autres vers
Tu n'es rien. Le travail, tandis que je sommeille,
Dès le point du jour te réveille,
Même au milieu des plus cruels hivers.
Chaque jour, en un mot, ton ouvrage t'occupe.
Livre présentement, dans une heure en prison.
Je fuis mon maître, moi. Le monde est ma maison.
Ma règle est mon plaisir. Toi, tu n'es qu'un dupe.
L'insecte ailé répondit sans aigreur :
Ami, vous êtes dans l'erreur.
Votre fort vous paraît tranquille,
De votre état vous vantez la douceur.
Eh bien, jouissez-en, créature imbécile.
Quant à moi, je regarde une vie inutile
Comme un véritable malheur.
Vous rampez dans la fange, inconnu sur la terre.
Moi, je m'élève et d'une aile légère
Je voltige de fleur en fleur.
Tantôt la Rose et tantôt le Narcisse,
M'ouvre son sein brillant et m'offre un suc exquis.
Ce suc dans ma trompe se glisse,
Et forme un miel dont on connaît le prix.
Par mon travail j'évite le mépris,
Je rends service à l'homme mon confrère,
Cet être industrieux, dont l'amitié sincère
Éclate en ma faveur jusque dans ses écrits,
À ces mots il quitta le Reptile surpris,
Pour aller achever sa tâche journalière.

Livre I, fable 11


2024-10-12

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