Le Raisin et l'Échalas Fleury Donzel (1778 - 1852)

Comment jusqu'à ce jour avons-nous pu souffrir
Ce bâton près de nous, cette figure indigne ?
Disaient à leur mère la Vigne
De beaux Raisins prêts à mûrir.
Sur plus de patience, il ne faut pas qu'il compte.
Voyez comme il est sec, comme il est vieux et noir !
Autant qu'il est hideux, nous sommes beaux à voir :
Son voisinage nous fait honte.
Allons ! va-t-en, triste Échalas :
De t'avoir près de nous, enfin nous sommes las.
Ah ! mes enfants, quelle imprudence !
Répond la Vigne ; il a soutenu votre enfance ;
Et vous avez, même aujourd'hui,
Plus que jamais besoin d'appui.
— Nous saurons nous passer de lui,
Répliquent les Raisins d'un ton de suffisance. —
Mère, on vous le dit nettement :
Nous n'en voulons aucunement.
Nous sommes assez grands pour faire à notre guise.
Bâton, va-t-en : cent fois faut-il qu'on te le dise ? —
L'Échalas là-dessus, laissant la mère en pleurs
Et les enfants riant, va se planter ailleurs.
C'était la saison des orages.
Bientôt le vent du nord amasse les nuages ;
La foudre gronde et les éclairs
Brillent et sillonnent les airs.
La Vigne sans soutien ne peut plus faire tête
À la tempête.
Son feuillage est brisé, ses pampres sont rompus .-
Hélas ! et c'en est fait des raisins de Bacchus :
Ils s'en vont rouler dans la fange.
Point ne fut pour eux de vendange.

Qu'à méconnaître un protecteur,
Ton erreur, jeunesse, est profonde !
Tu seras, sans lui, dans le monde
Ce qu'est la vigne sans tuteur.

Livre III, fable 11




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