Sous la rosée et le zéphyr,
Un Brin d'herbe avait pris naissance :
Il croissait avec l'espérance
De se voir un matin fleurir,
Quand un Homme, dans la prairie ,
Vint promener sa rêverie.
Le gazon l'invite à s'asseoir.
Il s'assied, se couche et sommeille ;
Courbé par la brise du soir,
Le Brin effleure son oreille.
Le Dormeur en sursaut s'éveille.
Qu'arrive-t-il ? à quel propos,
Ose-t-on troubler mon repos ?
Dit-il d'un ton fier et superbe :
Serait-ce toi, chétif Brin d'herbe ?
— Oui, je viens d'avoir ce malheur,
Répond le Brin plein de frayeur.
Ma racine tient à la terre :
Je n'ai pu m'éloigner. Excusez-moi ; le vent,
De cette insulte involontaire,
Est plus que moi coupable. — Ah, petit insolent !
Je saurai bien t'apprendre à vivre. —
A ces mots l'Homme, en le brisant,
Du malheureux Brin se délivre.
Gens médiocres ou petits,
Si près de vous un grand vient s'asseoir ou s'étendre,
Tenez-vous bien pour avertis
Que c'est la fuite qu'il faut prendre.