« Viens, Coislin : ça, voyons, est- ce que tu m'écoutes ?
- Oui, j'écoute, papa. Ce parterre, Coislin,
D'herbes mauvaises est tout plein ;
Il faut les arracher. -Toutes, papa ! -Oui, toutes ;
Et qu'au soir ce soit fait. - Pour un jour c'est bien trop !
-Je n'aime pas, Coislin, qu'on réplique et raisonne. >> -
Le papa, là-dessus, plante-là le marmot,
Qui, tout abasourdi d'abord, comme on soupçonne,
Près des plantes enfin lentement s'accroupit ;
Se résigne à tirer, souvent, dans son dépit,
Tirant la mauvaise et la bonne ;
Puis se relève et puis se dit : « Oh ! que c'est long !
A l'instant même un papillon,
Diapré de couleurs superbes,
Vient à passer : adieu le parterre et les herbes !
Voilà Coislin qui, pour avoir
L'insecte sémillant que le zéphir emporte,
Part, va, vient, saute, court de ci, de là, sans voir
S'il foule ognons, radis, pois, artichauts, n'importe :
C'est bien ici le cas de penser au jardin !
A tout prix, il faut qu'il attrape
Le charmant papillon qui, s'élevant soudain
Dans le pré du voisin, s'échappe.
Longtemps le pauvre enfant de son malheureux sort
Se lamente, se désespère.
Enfin, il s'en revient s'asseoir près du parterre,
Tire deux herbes, puis... deux autres, et s'endort.
Je l'avais prévu tout d'abord,
Et bien s'en faut que je m'en fâche :
C'était trop, beaucoup trop de besogne d'un coup.
Si le papa, moins dur et plus sage surtout,
En cinq ou bien six fois eût partagé sa tâche,
L'enfant à l'ouvrage eût pris goût
Et fini doucement par se tirer d'affaire ;
En une fois, Coislin est forcé de tout faire,
Et Coislin ne fait rien du tout.
Toi qui prétends venir à bout
De tes défauts, espèce à mes herbes semblable,
Songe, avant l'entreprise, au papa de ma fable :
N'en embrasse pas trop ; sinon, je crains beaucoup
Que bientôt tu ne te dégoûtes.
Ne dis pas dans dix jours ; ne dis pas dans un mois ;
Commence d'arracher peu d'herbes à la fois,
Si tu veux réussir à les arracher toutes.