Le Serpent Victorin Fabre (1785 - 1831)
Quelle lune est- ce donc qu'il a fait ce matin ?
Mon jardinier accourt, pressé que je me lève :
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Ce n'est pas, après tout, qu'Ève m'ait ressemblé :
J'ai la barbe un peu noire, et le teint fort hålé.
Mais parfois l'on se trompe ; et, ce n'est point un rêve,
Tout comme je vous parle, un serpent m'a parlé. »
- Et qu'a dit le serpent ? » - «C'est un écervelé
Qui vous fait un duel pour une réprimande !
Je lui disais : Mon cher, mal vit qui ne s'amende :
Tu feras triste fin. Passe d'être mordant
Pour peu qu'on soit mordu : choux pourrave ; c'est l'ordre.
Passe (bien entendu quand on a bonne dent),
De mordre le premier, pour la gloire de mordre ;
Car c'est guerre offensive : or il est évident
Que sans guerre offensive on n'aurait jamais guerre.
Tout va bien jusque-là : mais vois-tu, mon garçon,
C'est d'un mauvais esprit d'employer le poison :
Le droit des gens s'oppose à ces façons de faire :
Et monsieur te dira qu'une loi d'Angleterre,
Si tôt qu'un chevalier de la sorte a failli,
Dans un grand pot-au-feu le fait cuire à l'eau claire.
Si tu passes la mer, tu seras donc bouilli. »
Mon drôle, à ce discours vous prit cet air honnête
Qui dit tout clair aux gens : il ne sait ce qu'il dit.
Moi donc, qui me crois bien son égal en esprit,
Le voyant oublier, dans notre tête-à-tête,
A l'image de Dieu ce que doit une bête,
Par un grand coup de poing je voulais qu'il l'apprit ;
Et je courais du geste appuyer ma harangue,
Lorsque en sifflant dardée au-devant de ma main,
Une fourche à trois dents, qui lui sort de la langue
Force mon coup de poing à rebrousser chemin.
Qui t'arrête, dit-il, bon homme ? » - « Eh ! ton venin,
Lui dis-je. » -« Ah, t'y voilà ! va donc sur tes charmilles,
Sans crainte de poison, écraser des chenilles. »
«Entendez-vous cela, monsieur ? » -« Oui, c'est fort clair :
Talent d'empoisonneur a parfois son mérite
Si tu prends celui-ci, je conçois, à ton air,
Qu'on le fera bouillir, sans qu'il passe la mer.
Mais, en attendant la marmite,
Ce grand coup de poing qu'il évite
Lui rendra son venin plus cher. »
Oh, que de beaux serpents, à qui venin profite,
Qu'en vain le cri public donne aux chaudrons d'enfer,
S'ils n'étaient que chenille, y descendraient plus vite !
