La fontaine de Jouvence
Babille au milieu des bois,
Et remplit le grand silence
Du murmure de sa voix.
Autour d'elle tout foisonne,
L'herbe s'étend au hasard
Et lui tresse une couronne
De lierre ou de nénuphar.
Dans sa vieille auge de chêne
Où moutonne le cresson,
Le zéphyr de son haleine
Lui donne un léger frisson.
Sur sa nappe se reflète,
Le plus joyeux avenir ;
Le bouvreuil et la fauvette
Y viennent se rajeunir.
Ils se mirent dans sa glace
Et boivent de sa belle eau,
Ecoutant le temps qui passe
Au murmure du ruisseau.
À midi quand tout sommeille
Au fond des halliers touffus,
Et que mille bruits confus,
Bourdonnent clans notre oreille ;
A cette heure où le grillon,
Accablé par la lumière,
Dort au creux de son sillon,
Dans la brûlante poussière ;
Que toute plante languit,
Que tout oiseau se recueille,
L'alouette sur son nid,
Et le merle sous sa feuille ;
La source parle plus haut.
Les amants peuvent l'entendre
Chuchoter avec l'écho,
D'un accent timide et tendre.
Elle parle des amours
De Narcisse et de Lisette,
Fugitifs... et qu'on regrette,
Oui, toujours, toujours, toujours.
O ma charmante fontaine,
Que je voudrais me revoir,
A ma soixante-dizaine.
Me pencher sur ton miroir !
Je rajeunirais peut-être.
Hélas ! il serait grand temps :
A l'ombre de ton beau hêtre,
Je me croirais à vingt ans,
J'aurais des amis en masse,
Des parents et des pays,
Bonnes gens que l'on embrasse
Et qui depuis sont partis !
J'aurais aussi ma patrie !
Je croirais à la vertu !
Chère source, es-tu tarie ?
De ces temps te souviens-tu ?
Te souviens-tu de la France ?
De ses antiques exploits ?
Te reste-t-il l'espérance ?
Te souviens-tu d'autrefois ?