Le Loup et la Fontaine Jacques Peras (18è)

L'Email de mille fleurs une vive verdure
Décoraient un riant Côteau ;
Des Saules, des Tilleuls, sans art,
mais de nature
S'entrelassaient et formaient un Berceau,
À la faveur duquel sourçait une Fontaine :
La fraîcheur de ses eaux exhalait dans la plaine,
Nul ne pouvait la voir sans pousser des soupirs,
Même on dit que l'Amour dans ses tendres loisirs
Avait choisi ses bords pour y forger ses chaînes ;
Elle captivait tous les cœurs,
Mais il en naissait mille peines,
Et ses attraits appuyaient ses rigueurs.
Plusieurs charmants Oiseaux d'une flamme très pure
Venaient en gazouillant lui vanter leur amour,
Et loin d'y trouver du retour,
Sitôt qu'ils s'approchaient, l'eau devenait obscure ;
La Fontaine à leurs vœux opposait le mépris,
Nul ne paraissait digne d'elle.
Ah ! disaient-ils, se retirant contrits,
Cessons d'encenser une Belle
Qui fait gloire d'être cruelle.
Enfin un jour, je ne sais trop comment
La Fontaine devint sensible ;
Un Loup fut l'objet séduisant
Qui captiva cette belle inflexible.
Quoi ! dira-t-on, un Loup ! mais il était puissant,
Et quoiqu'il fut brusque et sauvage,
Sur ses Rivaux il obtint l'avantage :
Mais ces Rivaux plus justes que jaloux,
Fâchés qu'un tel Amant eut fait telle Conquête,
S'assemblèrent et furent tous !
Au Tribunal d'Amour y présenter Requête.
J'y fuis sensible ainsi que vous,
Leur répondit l'Amour, votre plainte m'alarme :
Un autre Dieu balance mon pouvair.
Je fais aimer, mais Plutus charme
Ainsi cessez de m'en vouloir.

ENVOI

Belles, l'intérêt, la tendresse
Vous obsèdent tour à tour :
Quoique l'ambition vous presse,
Préférez toujours l'amour.

Livre II, fable 5




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