Le naturel est invincible,
Toujours, toujours il reparaît.
Rendons ce fait à tous sensible
Par quelque nouveau trait.
Une poule, bonne couveuse,
Et de ses poussins glorieuse,
Se promenait au bord de l'eau.
Elle en avait, la bonne poule,
Des blancs, des noirs, des gris en foule,
Et même de couleur ponceau.
« Venez, venez, leur criait-elle,
Prenez, prenez ce vermisseau. »
Et tous accouraient sous son aile,
Sauf cinq ou six petits canards
Du plus beau jaune et fort mignards.
Un jour, elle voit leur flottille
Gagner le courant à la file.
Figurez-vous son embarras ;
Elle crie, elle se démène,
Les maudit, leur fait une scène,
Ils sont perdus, perdus, hélas !
Mais eux, barbotant dans la vase,
De loin lui répondent sans phrase :
« Allez, allez vous promener !
Ne criez pas, bonne grand'mère.
Pourquoi donc nous abominer ?
Nous sommes ici mieux qu'à terre ;
Parmi ces joncs et ces roseaux
Nous trouvons mille vermisseaux,
Qui valent bien mieux que les vôtres... »
Ainsi parlaient les bons apôtres.
Elle, à tous ces cris nasillards,
Se dit : « J'ai couvé des canards !
Encore un tour de la fermière.
Ah ! Seigneur Dieu, quelle misère !
Au lieu de couver des poulets
A mes conseils toujours dociles,
Je couve des canards fort laids,
Ingrats, turbulents, imbéciles,
Qui se plaisent dans le bourbier
Où tous risquent de se noyer.
Que le Seigneur Dieu les bénisse !
Et que leur destin s'accomplisse ! »