Une Poule pondait un gros œuf chaque jour.
Quelqu'un pour tromper son amour,
Mit ceux d'une Cane à la place.
La dame aucunement ne soupçonnant le tour,
Se flatte de l'espoir d'une nombreuse race,
Et comme siens couve ces œufs.
Bientôt petits Canards sortirent de leur coque.
Ses tendres foins alors augmentèrent pour eux.
Leur figure, leur voix, en eux rien ne la choque.
Le maternel amour fut pour le coup bien pris.
Elle les échauffait, les couvrait de ses ailes ;
D'amitié chaque jour ce font marques nouvelles.
Mère, ouvrez-donc les yeux : font-ce là vos Petits ?
Ne font-ils pas mieux faits, plus vifs et plus jolis ?
Mère à cela se trompe-t-elle ?
Pourtant le fit la Poule sans cervelle.
Le duvet a déjà couvert leur tendre peau.
Déjà près d'elle ils marchent bien et beau.
Jalouse de se voir de la forte entourée,
La Poule aux champs les conduit tous les jours :
Telle au milieu d'une troupe d'Amours,
Se promène à Paphos l'aimable Cythérée.
Un jour donc ils allaient trottant à ses côtés,
Quand d'aventure un ruisseau d'eau bourbeuse,
(Pour son honneur rencontre malheureuse
Aux Canetons par l'instinct excités,
Parut si beau, que tous ils s'y jetèrent,
S'y baignèrent, y barbotèrent.
Ils n'ont jamais été de gaieté si ravis !
La Poule désolée et maudissant cette onde,
Les fuit de l'œil, leur donne des avis,
Demande du secours, raconte à tout le monde
Leur imprudence et ses cruels soucis.
Ils ne pourront jamais regagner le rivage ;
Dans cette mer ils vont être engloutis.
Si j'en pouvais du moins sauver un du naufrage !
Elle retourne à l'eau, les rappelle à grands cris.
Petits Canards ont la cervelle dure :
Ils ne revinrent point. O nature, nature !
A plaider contre toi quand tu séduis nos sens
L'éducation la plus pure
A bientôt perdu tout son temps.