La Poule, la Fauvette et le Coucou Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)

J'ai vu la Poule vigilante,
Qu'entouraient ses jeunes Poussins,
Diriger leur marche imprudente,
Guider leurs novices larcins.

Pour les besoins de ce qu'elle aime,
Oublier, vaincre ses besoins,
A jeun, leur offrir elle-même
Le grain déterré par ses soins.

À quelle épreuve je l'ai vue
Quand le dévorant Épervier,
Échappé du sein de la nue
Sur sa tête vint tournoyer !

Des que la tendre Sentinelle
Aperçoit l'avide Brigand,
À cris pressés elle rappelle
Son petit escadron errant.

Sur eux de son aile amoureuse
La double voûte s'élargit :
De son sein l'ouate moelleuse
Les couvre, et de crainte frémit.

Pour eux, non pour elle tremblante,
Elle ose à peine vers les cieux
Élever sa crête flottante,
Et tourner ses timides yeux.

Par ses gloussements elle implore
Des secours déjà superflus :
Elle tremble et frémit encore
Quand l'Épervier ne paraît plus.

Cette naïve historiette
Que simplement je vous redis,
Un jour la sensible Fauvette
La racontait à ses amis.

D'Oiseaux une troupe attentive
L'écoutait : chacun de bon cœur
Plaignait cette mère craintive :
Les mères comme elle avaient peur.

De la terreur universelle
Un seul Oiseau rit comme un fou.
Sous un nom mâle Oiseau femelle,
C'était l'impertinent Coucou.

Les mères se donnent des grâces,
Dit-il, par toutes ces façons :
Ce sont toujours mêmes grimaces,
Mêmes frayeurs, mêmes chansons.

Je n'ai point, moi, de ces misères :
Prompte à fuir au lieu de crier,
De l'Autour je brave les serres,
Et je me ris de l'Épervier.

Je le crois, reprit la Fauvette :
Toi que rien n'attendrit jamais,
De notre tendresse inquiète
Qui t'aurait appris les secrets ?

Ton insouciance dépose
Chez nous l'œuf que tu mets au jour,
Et ne sait de quoi se compose
Un nid, ce chef- d'œuvre d'amour.

Ton espèce vit étrangère
A l'art de couver, de nourrir,
Et tu ne connais d'une mère
Ni le tourment ni le plaisir.

Tu fuis une serre ennemie
De loin te cause peu d'effroi ;
De toi la plus chère partie
Ne reste jamais après toi.

Que ton cœur aux nôtres ressemble :
Qu'il suive un exemple si doux ;
Et tu verras pourquoi l'on tremble
Comme la Poule et comme nous.

Fable 34




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