Aussitôt qu'Arion, de lyrique mémoire,
Eut par le secours d'un Dauphin
A ses marins brutaux échappé, son histoire
Se répandit, comme on peut croire,
Dans la Grèce, pays aux récits fort enclin.
Partout l'oisiveté de la place publique
S'entretint plus d'un jour de cet évènement.
L'un vantait du Dauphin le goût, le jugement,
Un autre D'Arion les vers et la musique.
Un grand Naturaliste en conclut savamment
Que chez tous les Dauphins c'était ainsi l'usage
D'aimer beaucoup le chant et de conduire au port
Tout passager qui de son bord
Pouvait, sous les poignards, ou voisin du naufrage,
Faire entendre des sons dignes de leur suffrage.
Certain Navigateur qui savait tout cela,
Loin du port, assailli d'une horrible tempête,
Les vents amoncelant les vagues sur sa tête,
Point de Dieu sur un char, pour mettre le holà :
De toutes parts l'abîme, et la mort toute prête,
Sur le tillac ainsi chanta,
S'accompagnant avec sa lyre,
En beau récitatif, que pour notre Opéra
Un Orphée allemand des Grecs renouvela,
Et que tout bon Français, sans le comprendre, admire.
O destin ! ô trépas affreux !
Dit-il ; ô ma femme ! ô ma fille !
Mon fils ! ton père malheureux
Meurt loin de sa triste famille !
O destin ! ô trépas affreux !
Ces vers-là ne sont pas sublimes :
Ils ont trop de pathos et d'exclamations ;
Mais mettez-y du chant, des modulations,
Vous en verrez l'effet : sur d'aussi pauvres
Combien de fois brilla l'art de nos Amphions !
Par son art, si l'on veut, par sa voix douce et tendre
Le Chanteur réussit. Il touchait à la fin ;
Il allait en rondeau répéter : O destin !
Quand le vaisseau s'entr'ouvre et s'enfonce.... Un Dauphin
Était-là justement qui, ravi de l'entendre,
À fleur d'eau, paraissait l'attendre ;
Et quand notre Arion à la mer se jeta,
Sur son dos ayant su le prendre,
Droit au rivage le porta.
De la Fille et du Fils compter les embrassades,
De la Femme les accolades,
Et les bals et les sérénades,
Et les joyeux repas donnés chez les Parents,
Puis les Échevins et le corps des Marchands, par
Serait ne point finir : abrégeons. Comme un Prince
Notre Bourgeois fée dans toute la province,
D'abord ne songe qu'à jouir.
Mais le repos l'ennuie, et bientôt le Zéphyr,
L'invitant au bruit de son aile,
Promet, foi de Zéphyr, de lui rester fidèle.
Il y crut, ou plutôt il crut à l'Intérêt,
Qui, s'il voulait tenter une course nouvelle,
Lui montrait un trésor tout prêt.
Le voilà se livrant encore,
Sur un vaisseau fragile, au caprice des mers.
Il verra le Détroit, l'Océan, le Bosphore :
Du Nil au Tanaïs, du Couchant à l'Aurore,
Il verra cent peuples divers...
Il n'en verra pas un. Il comptait sur Zéphire ; ·
Et c'est Aquilon furieux
Qui s'élance pour le conduire,
Et qui dispute son navire
A d'autres vents séditieux.
Le timon est brisé, la voile se déchire,
La mer s'irrite et gronde, et le triste Nocher
Voit le rivage fuir et la mort s'approcher.
L'équipage est en pleurs et le vaisseau sans guide.
Le Marchand seul est intrépide.
Aux yeux du Matelot tremblant,
Il s'approche du bord et commence son chant.
Qu'a-t-il à redouter ? Sa lyre est son égide.
Sûr d'échapper au sort commun,
Il se lance à la mer, ne faisant aucun doute
Qu'un Dauphin tout au moins ne soit là qui l'écoute,
Qu'il n'ait, quand il voudra, cent Dauphins au lieu d'un.
Un seul (c'était le même) était à l'audience.
Il reconnut son homme, et lui tournant le dos,
Le laissa se débattre en vain contre les flots.
De ta stupide confiance,
Dit-il en s'éloignant, la mort va te punir.
Vous croyez les Dauphins créés pour vous servir,
Humains ! détrompez-vous. Quand notre bienveillance,
Ou quand des Dieux la providence
D'un péril imminent a su vous garantir,
Ayez dans nos secours une ferme croyance ;
Mais gardez-vous d'y revenir.