Le Lapin et la Poule Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Reste avec nous, ami lapin,
Disait la meilleure des poules
Du poulailler de mon voisin.
Dans ton esprit je vois ce que tu roules ;
Je suis sûre qu'un beau matin,
Tu nous prendras la poudre d'escampette.
Seras-tu mieux ; auras-tu là Jeannette
Qui te donne elle-même et le son et le pain ?
Crois-moi, «acheté faire à notre servitude.
Du bois ayant perdu la trace et l'habitude,
Tu ne peux manquer, tôt ou tard,
De succomber aux ruses du renard.,
Pour moi, j'aime Jeannette et tiens à son service.
— Oui, tant que tu pondras, dit l'autre ; à te nourrir
Tant quelle aura du bénéfice,
On te choira. Jeannot qui ne sait que courir,
Et qui n'est propre qu'à la broche,
Sent trop qu'ici pour lui l'heure fatale approche.
Merci de ton avis, même de ton reproche ;
Adieu, je pars. Il court. Il n'a pas fait cent pas,
Que du plomb d'un chasseur atteint, il est à bas.
Ce chasseur justement est l'oncle de Jeannette ;
Jeannot est reconnu par le ruban lilas
Qu'il avait à la patte. On plaint peu les ingrats !
L'ordre est donné qu'à la broche on le mette.
L'on ne peut éviter son destin, dit tout bas
Notre poule à jeune poulette
Près d'elle prenant ses ébats.

ÉPILOGUE

On prétend que le bon Homère :
Allait par vaux et par chemins ' :
De ses héros chantant les faits divins,
Et ne rougissait pas d'accepter un salaire.
Certes, je ne suis pas un Homère 1; et suis loin,
Bien loin ded'aïiïi Jean', mon maître en fait de fable,
Mais, comme le premier, je connais le besoin ;
Et du second l'état m'eût paru fort sortable ;
Puisqu'il mangeait son fonds avec son revenu,
Quand je' n'ai rien, et n'ai jamais rien eu.
Ne peut-on pas tirer quelque lucre honorable
De son labeur ? De eétte extrémité
Sans votre générosité,
0 mes concitoyens ! j'éprouvais la disgrâce.
Car, après tout, l'essentiel
Est de vivre ; Virgile, Horace,
Sans Mécène, peut-être eussent aussi sur place
Lu leurs vers. Un poète est un industriel.

Livre I, Fable 19




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