Un laboureur prenait beaucoup de peine
A cultiver son champ, tout près d'une garenne :
Aussitôt que le bled croissait,
Soudain les lapins, sur la brune,
Faisaient au champ leur visite importune.
Le paysan se désolait :
Adieu sa plus chère espérance !
Un tel dégât excitait sa vengeance ;
Il résolut, dans un si fâcheux cas,
Pour prendre les voleurs, de leur tendre des lacs.
Quoi ! disait-il, en vain je travaille et je sue,
Les coquins mangent tout, et ma peine est perdue ?
Le piège au plutôt se tendit ;
Un des messieurs lapins s'y prit.
En guerre on aime la surprise,
De tout tems on la crut permise.
Ah ! je te tiens, maître fripon,
Dit le rustaud ; le repas était bon ;
Mais il faut payer le dommage :
Venez tôt, qu'on vous mette en cage ;
Puis, pour nous venger de vos tours,
Vous serez mis en broche un de ces jours,
Le lapin répondit : je ne suis point coupable.
Nous ignorons, mes confrères et moi,
Cette propriété, dont on fait une loi ;
Cette loi seule est condamnable.
L'Être suprême, en nous formant,
A pris soin de notre existence ;
Il nous donna pour subsistance
Tout herbage indistinctement.
Quoi ! suivre ton instinct, ô nature sublime !
L'homme injuste et cruel nous en ferait un crime ?
En vain le prisonnier, par de bonnes raisons,
Voulut plaider. Chansons, chansons,
Repart le villageois ; vous parlez à merveille i
Mais je suis sourd de cette oreille.
Le paysan et le lapin
Avaient raison tous deux, tous deux parlaient fort bien.
Le coupable, on le voit sans peine ;
C'est le maître de fief, de peupler son domaine
De ces animaux destructeurs,
Qui ravagent le champ des pauvres laboureurs.